Bien documentée et exerçant une fascination certaine, la période phare des mouvements révolutionnaires afro – américains a fait l’objet de nombreux ouvrages, études et films.
Cet ouvrage aborde ce pan de l’histoire contemporaine sous un angle nettement moins connu, en mettant l’accent sur une composante à la croisée de la militance « Black Power » et des luttes anti coloniales d’Amérique Latine.
En 1968, à Spanish Harlem, le quartier « latino » de New York, un groupe de jeunes d’origine Portoricaine, assoiffés de justice sociale et désireux de prendre part aux luttes révolutionnaires qui secouent l’Amérique d’Oakland à Cuba, décide d’aller à la rencontre de la population avec l’espoir de peut être allumer un nouveau Vietnam.
Les personnes âgées qui occupent les perrons de la 110ième rue regardent étrangement ces jeunes nés aux U.S.A maîtrisant mal l’espagnol et ne prennent pas au sérieux ces adolescents, portant bérets et treillis.
Renvoyant ces derniers à la réalité quotidienne, ils mettent le doigt sur LE problème crucial du moment, les poubelles qui s’accumulent faute de ramassage par les services de la ville, où prolifèrent rats et microbes, sans oublier l’odeur pestilentielle aggravée par la chaleur de ce mois de juillet.
« la première phase de l’action Révolutionnaire ne sera pas télévisée et se fera avec des balais, pas des AK47 »
Ces jeunes qui viennent de se constituer en organisation révolutionnaire les « Young Lords », décident de remettre à plus tard l’affrontement armé avec l’Amérique raciste, la première phase de l’action Révolutionnaire ne sera pas télévisée et se fera avec des balais, pas des AK47.
Au début, certes ils suscitent moqueries et quolibets. La population locale regarde avec distance ces révolutionnaires qui s’improvisent éboueurs. Quand le groupe allège les services municipaux de leurs sacs, balais et bennes à ordures, pour les ramener au « Barrio » l’ambiance se durcit. Quand les ordures sont transportées sur Lexington avenue à la frontière des quartiers gentrifiés bien proprets et incendiées au milieu de la rue, l ‘action de salubrité publique se transforme en émeute .
Les Y.L sortent le drapeau Portoricain et ce coup de force, pourtant totalement spontané les légitimise. Cette organisation naissante attire la sympathie des étudiants pauvres et radicaux comme des militants nationalistes de cette île incorporée aux U.S.A sans que ses citoyens de seconde zone aient le droit de vote. Sans l’avoir envisagé de cette manière les Young Lords deviennent la Young Lords Organisation.
Très vite ils se trouvent au cœur des problématiques quotidiennes des plus pauvres. L’engagement total pour le bien être d’une communauté doublement discriminée, car noire et immigrée, s’avère une nécessité. Les protestations contre la brutalité policière et l’occupation armée pour créer des lieux de vie communautaires leur attirent immédiatement les faveurs du F.B.I.
Déjà bien occupés à combattre le Black Panther Party avec lesquels les liens sont profonds, les Fédéraux voient évidemment d’un très mauvais œil le développement de ce groupe qui adopte, leur modèle organisationnel – marxiste léniniste – et leur stratégie, qui plus est quand les deux organisations se fédèrent au sein de la Rainbow Coalition.
Avec un engagement sans temps mort – un membre fait le serment de se rendre disponible à la cause 24h/24 – l’organisation fait feu de tout bois. Elle arrive à transformer des gangs en cellules d’activistes en ouvrant des sections dans plusieurs villes du Nord Ouest des U.S.A, lutte activement contre l’héroïne en mettant un programme de sevrage, crée des programmes médicaux communautaires avec l’aide de médecins engagés socialement. La Y.L.O devenue Young Lords Party deviendra même propriétaire d’un camion cabine de radiologie pour effectuer des diagnostics gratuit pour lutter contre la tuberculose.
D’une manière générale, elle met les autorités New Yorkaises face à la violence de sa politique sociale inégalitaire.
Par ailleurs elle conscientise les jeunes coupées de leurs racines par la création d’un presse militante et des cours d’histoire, de sociologie et de sciences politiques.
« leur vision d’une médecine alternative et communautaire … créé un modèle qui va perdurer et inspirer nombre d’expérimentations sociales. »
Évidement cette courte et intense période, à peine cinq ans, ne se déroule pas sans tensions internes, mais force est de constater que les membres du parti vont pousser assez loin leur réflexion et leurs pratiques.
En effet leur vision d’une médecine alternative et communautaire, où le patient n’est plus un malade dépendant mais un acteur de sa santé, créé un modèle qui va perdurer et inspirer nombre d’expérimentations sociales.
Plus étonnant encore le Y.N.P en raison de la présence de femmes fortes au cœur de son organisation, va prendre des positions relativement novatrices pour l’époque concernant les questions de genre. La culture « macho » pourtant initialement valorisée comme une base immuable de l’identité nationale Portoricaine est totalement remise en question par les militantes qui mèneront une « grève du sexe ». Elles vont pousser les mâles à un totale refondation de leurs postures. Les hommes créent en écho un « Men’s Caucus » assemblée ou ces derniers analysent leur pratiques.
« elles brisent un tabou et préfigurent à leur manière, les tactiques de convergences de lutte »
En soutenant les mouvements d’émancipation homosexuels naissants en interne, elles brisent un tabou et préfigurent à leur manière, les tactiques de convergences de lutte. En ce sens ce mouvement va beaucoup plus loin que ses contemporains. L’activiste Queer Sylvia Rivera, connue pour sa participation aux émeutes de Stonewall et considérée comme « la grand mère des Dragqueens » est en est d’ailleurs membre.
Le parti va pourtant se retrouver dans des contradictions indépassables en reproduisant les logiques groupusculaires comme toute une partie de l’Extrême gauche du milieu des années 70. Le sectarisme Maoïsant de la nouvelle direction totalement coupée de la réalité du terrain, la difficulté et le décalage existant entre ces fils d’immigrés et la réalité de la question nationale Portoricaine va paralyser et affaiblir le parti, déjà lourdement condamné par les autorités. Il finit par exploser en 1973.
La gueule de bois est terrible pour les fondateurs, les personnalités marquantes vont trouver d’autres terrains de lutte et d’engagements et finalement donner une réelle visibilité des membres de la communauté Portoricaine des U.S.A. Certains vont devenir des médecins et des travailleurs sociaux reconnus, des artistes ou des militants politiques réformistes. Peu vont cependant renier leur participation à cette épopée de jeunesse.
Ce livre excellemment documenté est un superbe hommage à cette lutte peu connue ici. Sans jamais tomber dans une indigeste mixture théorique, il est d’autant plus agréable à lire qu’il donne la parole à tous les acteurs principaux, sans jamais occulter les dissensions. Constitués de témoignages bruts, il peut être lu autant comme une chronique de l’époque que comme un regard sur l’action directe à visée socioculturelle, conneries à ne pas reproduire inclues.
Il semble qu’il ait fallu quarante années pour qu’un regard particulier soit posé sur cette période et cette communauté. Un autre épisode sous forme d’épilogue mérite aussi qu’on s’y arrête avant de clore cet article long et enthousiaste.
Les Young Lords ont, comme on l’a vu contribué à conscientiser la jeune génération des ghettos New Yorkais impliqués dans les gangs les plus violents de New York.
Certains tels les Ghetto Brothers leur embraye le pas quand ils imposent en 1971 une trêve durable entre les factions qui se déchirent pour des micro bouts de bitumes. Le célèbre et pas si fictionnel film « Warriors, les guerriers de la nuit » s’inspire de cette épisode. Les Ghettos Brothers vont à leur tour se transformer en organisation militante et culturelle, troquant couteaux et armes à feu pour des instruments de musiques.
Cette nécessité de pacifier les zones les plus criminogènes de la métropole Américaine en faisant du lien, va permettre l’émergence d’un culture basée sur la fête, il ne faudra pas longtemps avant que le Hip hop émerge de ces soubresauts de l’histoire sociale, voir à ce sujet et en complément de ce livre l’excellent documentaire « Rubble Kings » sorti en 2016 et trouvable en VOSTF…
/ Dj Breizmattazz { Saint Tropez Soulful Patrol – et tous les Dimanches (ou en podcast cf le lien) avec l’émission Spy Market sur le 90.1 Mghz de la Clef des Ondes }