167 pages qui témoignent des conditions de vie des hommes et des femmes qui travaillent pour la tuerie de masse, que sont les abattoirs. Pour ce reportage, le journaliste a choisi de se faire embaucher comme intérimaire au sein d’un gros abattoir breton qui opère chaque année à « la mise à mort de deux millions d’animaux ».
Ici tout est fait pour déshumaniser. Le travail est à la chaîne et à ce propos, l’auteur rappelle que Henry Ford dans ses mémoires a raconté qu’il s’était inspiré des abattoirs de Chicago de la fin du XIXème siècle, pour appliquer leur mode d’organisation de la production à l’industrie automobile. A la tuerie, le rythme imposé est l’abattage d’une vache par minute. Pas le temps de vérifier si l’animal a été « étourdi » avant d’être retourné puis saigné. Les hommes qui opèrent là, pris par la cadence, n’ont pas le temps de penser à la souffrance de l’animal. Celle-ci est cachée au fond des têtes et derrière les murs, nouvellement construits en ce début de chaîne depuis que l’association L214 s’est invitée dans les abattoirs.
Il nous met face à notre assiette, à notre steak, nous forçant à assumer le fait d’avoir industrialisé et délégué la tuerie à quelques uns »
Geoffrey le Guilcher est embauché au dégraissage. En théorie, 55 vaches à l’heure dont il faut retirer le gras à l’aide d’un gros couteau, mais la direction en demande 63 en moyenne; plus d’une vache par minute. Les gestes sont répétitifs, durs, comme sur toute la chaîne et les hommes et les femmes exposés à des troubles musculo-squelettiques ayant de graves conséquences sur leur santé, mais qui ne pèsent pas lourd face à l’argent en jeu. Au grand dam des médecins généralistes, le médecin du travail de l’abattoir ne veut pas reconnaître les maladies professionnelles. Tout au long de la lecture cela donne des titres de chapitre reprenant des citations d’ouvriers de l’usine comme « Je ne peux pas être assis, ni debout… Je suis baisé », ou « Si tu te drogues pas, tu tiens pas » ou encore « Les abattoirs créent des handicapés ».
Le livre est donc bien le compte rendu d’une enquête journalistique, mais Geoffrey Le Guilcher a adopté le parti pris de témoigner au jour le jour de son quotidien et de celui de ses collègues de travail, tant sur la chaîne que lorsqu’ils se retrouvent autour d’une pause ou d’une invitation chez les uns chez les autres. Loin d’une enquête sociologique et technique, il nous entraîne avec lui dans ses conversations avec ses collègues, nous lègue ses impressions et ses souffrances physiques et psychiques qui se manifestent très tôt et tout au long des 40 jours passés à l’abattoir. Je dirais que la lecture de ce petit livre est indispensable pour comprendre comment la machine à faire des steaks fonctionne en broyant animaux et êtres humains. Il nous met face à notre assiette, à notre steak, nous forçant à assumer le fait d’avoir industrialisé et délégué la tuerie à quelques uns afin de ne plus voir que derrière ce steak se cache souffrance humaine et animale.