De passage à Saint-Pétersbourg en octobre dernier pour participer à une rencontre avec de jeunes antifascistes russes, on apprend qu’il va y avoir un tournoi, organisé par des antifas au V-Club, ouvert depuis environ un an dans le centre de la ville. Curieux d’en savoir plus sur le lieu et sur le tournoi, nous décidons de nous y rendre : mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises…
Déjà, l’existence d’un tel endroit était vraiment une bonne nouvelle, car jusqu’à présent, il n’existait aucun lieu alternatif sur la ville, et le seul et dernier squat (clandestin) avait été expulsé depuis plusieurs mois. On nous explique qu’au départ, il s’agit d’une initiative de militants végétariens décidés à faire partager, dans un espace semi-ouvert, leur choix alimentaire et leur combat pour les droits des animaux (d’où son nom complet : Vegan- Club) : il faut dire qu’en Russie, le végétarisme n’est pas entré dans les moeurs, les animaux y sont encore plus maltraités que les hommes et le seul resto végétarien de la ville est tenu par des krishna…
Curieux d’en savoir plus sur ce fameux tournoi, nous cherchons à avoir des précisions, mais les copains restent vagues, voire même un peu narquois… Quand on finit par savoir que l’organisateur du tournoi est Rush, une figure de l’antifascisme de rue à Saint-Pétersbourg, que nous avons déjà rencontré à plusieurs reprises, notre intérêt se renforce, et on pense aussitôt à un tournoi de freefight antifa, comme il s’en était organisés dans d’autres villes (on avait vu des vidéos sur des sites antifas russes). Descendus à la station Mayakovskaya, nous suivons la Nevski prospekt, la grande rue commerçante, la Ligovski Prospekt, puis, après avoir tourné dans une ruelle adjacente, nous nous retrouvons dans ce qui ressemble à une ancienne friche industrielle désaffectée, un ensemble de bâtiments en briques rouges dans lesquels se sont installés différents petits magasins, un salon de coiffure, un bar, une salle de danse…
Pas si simple de s’y retrouver, mais on finit par trouver la porte du V-Club, devant laquelle discutent quelques jeunes. On entre… Une salle d’environ 90 m2, une cuisine (bien sûr !), des toilettes et des douches, un vestiaire, une scène équipée (sono, projos), des vélos au plafond, des tableaux aux murs : voilà pour le décor. Quant aux différentes activités, on apprend qu’il en existe pour tous les goûts : activités sportives et artisitiques, groupes de discussion en langue étrangère, fabrication de savons naturels… On comprend vite que, grâce au fait que de nombreux-ses vegans sont aussi investi-e-s dans d’autres luttes (entre autres, la lutte antifa), le Vegan-Club a fini par devenir un véritable centre social, ouvert à tous, ce qui reste à notre connaissance quelque chose de tout à fait exceptionnel au pays de Poutine. Bref, en arrivant sur place, on retrouve notre ami Rush occupé à installer un banc de musculation. Pas de tapis au sol, pas de matériel de boxe : pas de doute, on est arrivé trop tôt, rien n’a été mis en place. Pas grave, on discute un peu avec les gens (en anglais de cuisine, pas facile !), puis, comme tout le monde semble un peu occupé, on décide de faire un tour dans le quartier et de revenir un peu plus tard.
À notre retour, toujours rien d’installé (à part le banc de muscu), et on apprend, déçus, que les filles ont déjà fini… Mais quand les garçons s’y mettent, on finit par comprendre qu’il ne s’agit pas d’une compétition de boxe comme on se l’était imaginé, mais d’un tournoi d’haltérophilie ! Un peu décontenancés au début, il faut bien le dire, on finit par se prendre au jeu, et on découvre un sport assez technique (en particulier en ce qui concerne la position du coprs pour supporter le poids), et pas si bourrin que ça, puisque le gagnant est certes celui qui soulèvera le poids le plus lourd, mais relativement à son propre poids. Tandis que les enceintes crachent du hardcore (russe, of course), chacun vient à tour de rôle éprouver sa force, cherchant à atteindre ses propres limites : l’ambiance est cool, pas trop genre « je montre mes muscles », et si certains sont visiblement des adeptes de la discipline (le gagnant a quand même ce jour-là soulevé 140 kg), il y a aussi des copains moins sportifs qui se sont prêtés au jeu, encouragés par les autres (on apprendra plus tard que tout le monde pouvait s’inscrire, à condition de ne pas fumer, de ne pas boire, et d’être végétarien). Au final, c’était plus sympa que de voir des copains se mettre sur la gueule…
Mais cette initiative avait aussi un objectif politique : faire la démonstration que ce n’est pas parce qu’on est végétarien qu’on est forcément une crevette, et qu’on peut très bien se passer de viande et soulever de la fonte. Difficile de dire dans quelle mesure le tournoi sert ou non la cause vegan, mais à vrai dire, l’important n’est pas là : c’est surtout l’occasion de se retrouver autour d’une activité sportive (certains antifas étaient venus de Moscou pour participer), au même titre que pour un tournoi de foot ou un concert… Créer du lien, se rencontrer, s’amuser ensemble : comme nous l’a dit Rush à la fin du tournoi, « That’s it ! », mais c’est déjà pas mal ! / Tina et SB
Des tournois de foot antiracistes
À Saint-Petersbourg et à Moscou, si tu es supporter de foot, tu ne peux pas afficher tes idées car les hooligans sont quasiment tous d’extrême droite. Et pourtant, il existe des gens qui sont fans de foot et qui sont antiracistes! À Saint-Petersbourg, les supporters antifa soutiennent l’équipe de Carélie (Karelia), mais à cause de problèmes d’argent, cette équipe ne pourra pas finir la saison cette année. Il existe aussi une équipe du Caucase (Spartak Nal’chik) où les supporters peuvent afficher des banderoles antifascistes (« Let’s fight white pride ! »). Il y a d’autres petites équipes, au niveau régional ou en troisième division, mais elles sont peu connues. C’est différent en Biélorussie ou en Ukraine: c’est pourquoi les supporters russes soutiennent d’autres équipes que les équipes nationales russes. Cela fait maintenant deux ans que les militants antiracistes et antifascistes en Russie organisent leurs propres tournois de foot, en salle pour éviter les risques de contact avec la police ou les fachos. Il y en a eu deux à Moscou : le premier a eu lieu uniquement au niveau local, tandis que le deuxième, signe du succès de l’initiative, a rassemblé plus d’équipes. Seize villes y ont participé (dont Moscou, Minsk et Saint-Petersbourg). Il n’y avait pas que des militants qui jouaient : ça a donc été l’occasion de sensibiliser les autres membres des équipes aux mots d’ordre antifascistes et antiracistes. Il y avait une équipe anar (autour d’Avtonom), une équipe antiraciste et une autre composée de libéraux (autour d’Orobona), mais aussi plein de supporters, le tout dans une bonne ambiance tant au niveau politique qu’au niveau de la convivialité. Merci à Sergueï pour les infos !