Saint- Malo, aout 2017, on se décide à faire un tour à la Route Du Rock, pour retrouver un copain qui s’y fait passer pour journaliste. On assiste de loin à la grand-messe de Pj Harvey, c’est décevant et sans intérêt, du coup on préfère faire la queue pour les bières. Et c’est quand la nuit tombe qu’on ressent cette fameuse excitation à l’idée de découvrir un nouveau groupe.
Une foule joyeusement bordélique prend place sur la pelouse devant la plus petite des scènes, ça cause anglais, beaucoup. Et puis Idles déboule sur scène. Ils viennent défendre leur premier album, Brutalism, dont le nom fait référence au courant architectural éponyme né après guerre et représenté en France par Le Corbusier. D’ailleurs leur look comme leur musique sont bourrés de références. Et ce ne sont pas de fringants jeunes Lads qu’on voit là : les Idles ont dépassé la trentaine et veulent en découdre.
Dès leurs premiers riffs, on comprend avec grand plaisir qu’on va en prendre plein les feuilles, et on n’est pas déçu. Ils sont cinq, bien barrés, et particulièrement efficaces. Les deux guitares s’entremêlent pour créer une mélodie entêtante entre noise, indie et punk. Le batteur martèle sa rythmique galopée, soutenu par un bassiste infaillible. Il y a de la new wave, une énergie punk, et la folie garage, le tout servi par un frontman moustachu et halluciné qui saute, harangue la foule et se roule par terre. Un vrai chanteur qui sait hurler, scander et chanter d’une belle voix grave et rocailleuse.
Nous n’avions pas encore écouté leur album et c’était plutôt une bonne chose car nous n’avions pas d’attente particulière envers ce groupe. Du coup, dès le premier morceau Heel/Heal, on est happé par l’attitude sans concession du groupe et l’efficacité des morceaux. C’est violent, agressif et urgent. Des hymnes se détachent : Mother et ses paroles frappantes :
« The best way to scare a Tory is to read and get rich »
Divide and Conquer dont la violence et l’agressivité se font un écho des réformes des services de santé du Royaume Uni :
« A loved one perished at the hand of the baron-hearted right »
ou encore Well Done. Le public danse, pogote, slam, bientôt rejoint par l’un des guitaristes et le chanteur qui abreuve de whisky son public, ravi.
Lorsque les Idles terminent leur set, le gros du public se rue voir Thee Oh Sees. Quant à nous, on se retrouve le sourire aux lèvres, secoués mais réjouis par ce que nous venons de vivre. Les Idles ont réussis leur coup, après leur concert, on veut en savoir plus sur eux, écouter leur album, voir leurs clips vidéo et lire des chroniques et autres interviews.
Et lorsqu’on en a enfin l’occasion, on comprend que les Idles ont réussi à créer un univers bien à eux, liant imagerie, paroles, musiques, vidéos et concerts en un même parti-pris artistique et sociétal. Brutalism est un brûlot agressif et nécessaire, les morceaux n’en sont pas pour autant brouillons mais au contraire travaillés, taillés dan le vif, hyphonyiques et urgents.
La vidéo de Mother est tournée dans la Dilston Grove Gallery, poumon artistique autogéré de Londres qui promeut des artistes reconnus et de nouveaux venus. Le chanteur Joseph Talbot, so British dans son costume rose, y est filmé avec pour tout décor une table pleine de bibelots d’un kitsch tout britannique. Il finira d’ailleurs par les détruire consciencieusement comme s’il en finissait avec une société anglaise corsetée dans des valeurs aussi obsolètes que vieillottes.
Quant à Divide and Conquer, le chanteur en a écrit les paroles alors qu’il observait la santé de sa mère mourante se détériorer dans un système hospitalier mis à mal par les récents assauts du gouvernement Conservateur contre le National Health Service (la Sécurité Sociale des britanniques). Et la vidéo du morceau en est une métaphore, mettant en scène un cinquantenaire qui divague dans les rues à l’abandon d’une ville anglaise et finit par battre à mort le chanteur des Idles. On se croirait dans un Chute Libre à l’anglaise, des constats journalistiques sont incrustés en images subliminales dénonçant les méfaits des réformes susnommées sur la santé des britanniques, la violence d’un gouvernement engendrant la violence sociale.
Les Idles reviennent en France au mois de décembre pour quelques dates, dont une le 7/12 au Point Ephémère de Paris. Vous l’aurez compris : on ne saurait trop vous conseiller d’aller les voir, d’écouter leur album, de regarder leurs vidéos, etc… A l’instar de groupes tels que Sleaford Mods, ils prouvent que la Perfide Albion n’en a pas fini de mettre le monde du Rock’n’Roll à l’amende avec des formations toujours plus pointues et performantes, qui continuent de nous épater et de nous donner papillons dans le ventre !