Zerocalcare est un chic type. Vraiment. Bien de sa personne, Italien, entre deux âges mais éternellement jeune, timide mais drôle. Le genre de dessinateur qui va dédicacer ses bouquins douze heures d’affilé et s’excuser de ne pas pouvoir rester pour l’after. C’est un peu le fils que ta mère aurait aimé avoir. Qui ne boit pas, poli, intelligent, cultivé. Et aussi activiste. Qui part au Rojava, et en revient avec une BD excellente, « Kobane Calling » [tooltip text= »(1) » gravity= »s »] »Kobane Calling », de Zerocalcare, chez Cambourakis, 23 euros.[/tooltip]. Une œuvre didactique, drôle et humble, sortie en 2016, et qui a fait l’unanimité dans les rédactions parisiennes, si promptes pourtant à vomir les affreux gauchistes quand ils s’expriment trop fort. Mais Calcare séduirait n’importe qui sans le faire exprès. Il est comme ça, Zero, il peut rien y faire.
La première fois que j’ai aperçu le jeune homme sur une photo illustrant un article en italien qui lui était consacré, il portait un chandail Brigada. Mon ego boursouflé m’a alors poussé à savoir qui était celui qui nous rendait ainsi hommage. La réponse arriva rapidement sous la forme d’un colis posté depuis Gêne : trois livres de l’homme au t-shirt Brigada, en VO, bien-sûr, envoyés par mon agent de liaison ritale. La piste était chaude, mais comme je ne lis pas la langue de Berlusconi, j’ai pas compris grand-chose à ses histoires de poulpe, de tatou et de « maudit lundi » [tooltip text= »(2) » gravity= »s »]La Profezia dell’armadillo, BAO Publishing, 2012, Polpo alla gola, BAO Publishing, 2012, Ogni maledetto lunedì su due, BAO Publishing, 2013. Le premier, La Prophétie du tatou, a été publié en France aux éditions Paquet en 2014.[/tooltip]. Bref, tout ça pour dire que, quelques mois plus tard, quand je rencontre Zerocalcare chez son éditeur pour une interview, à la sortie de « Kobane Calling », j’entame la discussion en évoquant l’histoire du t-shirt, sûr de mon effet. Je remarque alors qu’il regarde mes tatouages d’un air mi-circonspect mi-inquiet. Ses yeux vont et viennent, depuis mes bras jusqu’à divers coins de la pièce où il semble chercher une aide matériel. Puis son regard s’apaise au moment où il s’arrête sur une grosse agrafeuse. Me rappelant le goût des Romains pour la crucifixion, je termine vite ma passionnante anecdote. A la fin, le (chic) type me sort des yeux ronds, tellement ronds que j’ai cru un instant qu’il n’avait rien compris à mon blah-blah. Malaise… En fait, non, il avait vu Brigada plusieurs fois en concert à Rome et ailleurs et hallucinait de me trouver là. Il me rappelle une ou deux anecdotes de nos dates en Italie dont je feins de me souvenir comme si c’était hier, en gardant, tout de même, un œil sur l’agrafeuse.
La nouvelle sensation italienne de la bande dessinée, après Liberatore et Gipi, est donc un activiste antifasciste, qui a participé aux manifs anti-G8 de Gênes, est parti en Syrie, auprès des combattants kurdes et a raconté la révolution en dessins. Bien sûr, le mec connait aussi un succès populaire avec des BD pleine d’autodérision, des récits mélancoliques mais jamais pleurnichards.
« Oublie mon nom », la deuxième traduction française d’un de ses livres, paru chez Cambourakis le mois dernier est une de celles-là. Loin des montagnes kurdes, a Rebibbia, banlieue de Rome, Zerocalcare a une mission : retrouver la bague de sa grand-mère française. Elle vient de mourir et a souhaité être enterré avec. Enfermé dans l’appartement de Huguette — c’est le nom de la grand-mère – avec son pote Se’, ils se remémore son enfance et raconte l’histoire de sa famille.
Nées à Nice, Huguette et Iris, sa sœur, perdent leur mère jeunes et son envoyées dans un orphelinat. Huguette est recueillie par un couple de russes blancs, exilée en France suite la révolution de 1917. Huguette grandit et se marie à un noble anglais, ils ont deux enfants, arrive la guerre et son mari disparait du monde des humains. La suite est un récit fantastique et délirant, et avec des renards.
Toujours drôle, prêt à se foutre de lui-même, Zerocalacare arrive à mélanger ses influences sans perdre le lecteur, et en lui scotchant un large sourire sur la tronche. Contes européens, manga, comics, anecdotes de banlieusards, le dessinateur n’est pas avare de digressions et de saynètes comiques. Toujours accompagné de son pote le tatou, son ami imaginaire et directeur de conscience, la vie est une tragi-comédie pour Zerocalcare. Et son interprétation dans le rôle qu’il joue le mieux, lui-même, est impeccable. Non, franchement, ce type-là n’a pas beaucoup de défaut. Un chic type que je vous dis. / M-B
Notes
(1) « Kobane Calling », de Zerocalcare, chez Cambourakis, 23 euros.
(2) La Profezia dell’armadillo, BAO Publishing, 2012, Polpo alla gola, BAO Publishing, 2012, Ogni maledetto lunedì su due, BAO Publishing, 2013. Le premier, La Prophétie du tatou, a été publié en France aux éditions Paquet en 2014.