16 novembre 2016, Gilles Bertin a décidé de mettre fin à 28 ans de cavale. En Décembre 2004, il est condamné par contumace [1] à 10 ans ferme pour avoir braqué 16 ans plus tôt – Avril 1988 – 11 millions de Francs dans un dépôt de la BRINKS à Toulouse. Il aurait pu attendre encore 2 ans pour bénéficier de la prescription mais il n’avait plus envie de fuir, juste de prendre un nouveau départ en passant par la case JUSTICE. C’est au commissariat de Toulouse qu’il ira se rendre, accompagné de son avocat Christian Etelin, réputé pour avoir défendu avec son épouse un certains nombre de militants politiques [2] dont quelques anarchistes Toulousains. Débarquer chez les flics après tout ce temps a quelque chose de surréaliste et tout cela doit s’organiser. Gilles le sait et le raconte très bien. De la randonnée matinale pour franchir la frontière espagnole jusqu’aux geôles du tribunal de Toulouse, tout cela ressemble à un scénario de film. Je n’ai pas de chiffre précis sur le nombre de gens qui ont réussi à échapper si longtemps à la justice internationale (puisqu’il est recherché par INTERPOL quand même…) mais je suppose qu’ils ou elles son rares. Celles et ceux qui peuvent en témoigner le sont probablement encore plus. Le caractère assez exceptionnel de la situation rend donc ce début de lecture assez passionnant.
Le chapitre suivant revient sur les 7 années qui précédent le braquage: sa découverte du punk, les expéditions en Angleterre ( LE pays des SEX PISTOLS, des CLASH, des DAMNED, des BUZZCOKS, CRASS et bien d’autres ) pour assister aux festivals, les cambriolages pour survivre ou s’acheter des instruments, les squats et la défonce. Les débuts du groupe où Gilles chante et joue de la basse sont un peu chaotique. J’avoue que le portrait de CAMERA SILENS qui en est dressé est un peu éloigné de ce que je m’étais imaginé… C’est à dire moins punk « destroy » et moins bordélique. Mais finalement le groupe sortira 2 albums que beaucoup [dont je fais parti] considèrent comme le meilleur dans le genre, pour cette époque. Aujourd’hui le groupe est un peu « légendaire » [3]. Gilles Bertin déclarait d’ailleurs dans une interview récente pour Libération avoir été un peu surpris par cette petite notoriété qui a grandi durant son absence. Dans cette partie du récit, on perçoit bien toute la sincérité, et l’authenticité de CAMERA SILENS. Pour eux le punk ce n’est pas une mode vestimentaire et musicale, mais un style de vie vécu à fond selon le précepte des enragés de Mai 68 « Vivre sans temps mort et jouir sans entraves ». C’est aussi un témoignage très intéressant sur les débuts du punk en France, où trouver des infos et se procurer des disques n’était pas aussi évident qu’aujourd’hui.
Progressivement la pression policière s’accentue et Gilles doit quitter son groupe. Avec une équipe de proches, ils décident de braquer un dépôt de la BRINKS. Un gros chapitre raconte les préparatifs et le déroulé du braquage. C’est le début de la cavale et de la clandestinité avec son lot de problèmes. Une nouvelle vie commence et elle est plutôt compliquée, entre la maladie qui se déclare et les difficultés financières du magasin de disques ouvert au Portugal. Malgré tout il s’accroche. Sans le soutien de Cécilia ce serait impossible. Le couple est impressionnant de volonté et de lucidité. Mais ont-ils le choix ?
Finalement, Gilles Bertin aura dû jouer un rôle durant presque 30 ans: impossible de donner sa véritable identité à ses voisins, à ses clients et encore moins aux différentes administrations. La charge est devenue un peu trop lourde à porter. Il fallait s’en libérer pour avancer, ce qu’il fait dans ce livre authentique et émouvant.
Notes
[1] En l’absence du condamné
[2] En 1974, Marie christine Etelin défendra Salvador Puig Antich, militant du MIL ( Mouvement Ibérique de Libération ) condamné à mort par le régime Franquiste.
[3] Le terme « légendaire » est un peu galvaudé aujourd’hui car utilisé abusivement dés qu’un groupe à plus 30 ans d’existence mais pour CAMERA SILENS, c’est justifié.