Les fakes news sont indissociables d’Internet : le terme a d’ailleurs été forgé pour définir les fausses informations, mélange détonnant de thèses complotistes, occultistes diverses et de manipulations/mensonges volontaires – la « fausse information » est proche de la désinformation et de la propagande, il ne faut pas hésiter à le dire –, qui circulent sur le Web. À chaque crise ou évènement majeur, ces « fausses informations » explosent et surfent sur ce qui vient de se dérouler. La pandémie actuelle n’échappe pas à cette règle. Entre ceux qui accusent la G5, ceux qui affirment que le virus a été créé en laboratoire et les promoteurs de solutions simplistes, le compte y est, malheureusement…
Si Internet est un fabuleux outil de connaissance, il s’agit aussi d’une poubelle : ces discours, avant le Web, ne circulaient que dans des publications confidentielles. Leur capacité de nuisance était donc moindre. Rares étaient celles qui obtenaient une grande visibilité.
On est dans une conversation de comptoir 2.0 à grande échelle…
La saturation de l’information, la crédulité de l’opinion et la méfiance envers les sources scientifiques solides, et la rationalité en générale, au profit de solutions simplistes, irrationnelles, voire magiques, facilitent cette explosion. Les solutions du professeur Raoult, largement contesté dans le monde médical, en sont un bon exemple… Comme il se présente comme un « rebelle » au système, il a une aura démesurée auprès d’une certaine catégorie de population et une publicité qui l’est tout autant. Pour autant, on ne peut pas dire que la crédulité est croissante : il y a toujours eu une part de la population qui a été crédule. La crédulité, la superstition, les croyances, etc. ont toujours été présents dans les sociétés, malheureusement. Simplement, les réseaux sociaux ont permis de prendre conscience de son ampleur et de la mettre en lumière. On est dans une conversation de comptoir 2.0 à grande échelle…
Il faut aussi prendre en compte le fait que les fausses informations n’attirent pas les mêmes personnes, cela dépend de leur contenu : un militant écologiste radical sera plus sensible aux fake news sur la santé, par exemple sur la dangerosité de la vaccination, que sur celles sur l’immigration, qui le touchera moins, voire pas du tout. À l’inverse, un militant d’extrême droite sera très sensible aux fausses informations sur l’immigration, et peu par un délire sur la santé. Après, on peut avoir des personnes totalement complotistes qui le seront aux deux… En fait, la réception aux fakes news dépend des biais cognitifs et des a priori idéologiques des uns et des autres : on est toujours plus réceptifs à ce qui confirme nos idées, y compris si elles sont fausses.
une frange importante des porteurs de fausses informations médicales proviennent de milieux croyants/religieux
Les fausses informations les plus inquiétantes actuellement concernent principalement le rejet de la médecine, celui des vaccins ou la promotion de régimes alimentaires dangereux car cela met en péril la santé publique. Non seulement, elles sont dangereuses individuellement, mais elles touchent aussi les enfants qui n’ont pas demandé d’être les victimes de la bêtise de leurs parents… Pensons à ces parents inconscients, ou plutôt se situant dans un cadre idéologique précis, antimoderne et « alterscientifique », qui ont donné du lait de soja à leur nouveau-né, et qui l’ont tué… ou à ceux qui refusent de vacciner leurs enfants, qui se retrouvent avec de graves séquelles. Pensons aux épidémies de varicelles, rubéoles, etc. sans compter le retour de la poliomyélite.
Derrière ces propos et ces postures idéologiques, il y a une logique de désinformation. Celle-ci est une stratégie délibérée, mais elle peut être inconsciente dans le sens où une frange importante de ceux qui diffusent ces discours, qui font tourner ces pseudo-informations, voire ces peudo-révélations, rejette bien la science et la rationalité technicienne, mais sans comprendre toujours pourquoi, contrairement à ceux qui conçoivent cette désinformation, à ceux qui sont à l’origine du mème.
Leur objectif ici est de saper le fondement de la rationalité, au profit d’une conception « postmoderne », en fait un retour de l’archaïque et de l’irrationalité, dans nos sociétés sécularisée. D’ailleurs, il n’est pas anodin qu’une frange importante des porteurs de fausses informations médicales proviennent de milieux croyants/religieux (« croyance » pour ceux qui se « bricolent » une foi à la carte ; « religieux » pour ceux qui s’inscrivent dans une religion précise). Il s’agit de revenir à une société « enchantée » (par rapport à nos sociétés « désenchantée » et sécularisée), où le mysticisme et l’irrationnel jouerait de nouveau un rôle majeur… Plus méchamment, on pourrait dire que cette attitude relève de caprices d’enfants gâtés, enfants d’un Occident ayant banni un certain nombre de maladies graves par la vaccination et la sécurisation des modes de vie, et qui veulent revenir à une « authenticité », comprendre sans modernité, qu’ils n’ont jamais connu, étant pour la plupart des enfants des Trente Glorieuses. Cette idéalisation d’un passé révolu est dangereuse : l’« authenticité » tant rêvée et désirée tue ou rend infirme. La poliomyélite et la tuberculose ont fait des ravages pendant des siècles. Seuls les vaccins ont permis de les faire disparaître.
Les conséquences d’un tel discours est que les instances politiques ou scientifiques sont totalement décrédibilisées, d’autant que nous avons un personnel politique, dans une large majorité, médiocre, ayant une communication catastrophique… La principale conséquence sera une plus grande « décrédibilisation » de ces instances, dans un contexte largement favorables aux populismes et aux thèses new age/anti-science.
Pour autant, faut-il contrôler ou pénaliser l’expression sur Internet ? Non. Leur interdire de s’exprimer leur donnerait une position de victimes du « système », qu’il faut éviter. Cela leur donnerait une légitimité, qu’ils n’ont en aucune façon, faciliterait la diffusion des discours analysés ici. Par contre, il est tout à fait légitime de les poursuivre devant les tribunaux. Lorsque leur commerce, car il y a souvent un arrière-plan financier derrière ces prises de position, est mis en péril, cela rend ces personnes beaucoup plus prudentes, voire silencieuses.
Stéphane François