Le nouvel album de DUBAMIX [ Camarades ] est sorti début Mars 2020 ; l’occasion pour nous de poser quelques questions à Greg … Parmi les 17 titres, pleins d’invité(e)s, de mélange de styles et des rythmiques DUB – TECHNO toujours aussi entrainantes. Comme son nom l’indique, ce 4éme album est orienté vers l’Internationalisme où les références militantes et historiques ne sont pas oubliées, à travers des samples et une reprise du fameux chant révolutionnaire La Lega. [Merci à Robert Dream pour les photos ]
ABLOC : Tu avais prévu de sortir ton album le 12-13 Mars 2020, soit au tout début de l’épidémie COVID 19 en France. Raconte-nous un peu comment tu as du gérer, notamment pour toutes les dates programmées pour cette sortie. Sur le sujet, on suppose aussi que tu dois avoir 2/3 anecdotes et réflexions que tu voudrais partager avec nous.
Oui c’est ça, on devait fêter la sortie physique le 13 mars à la gare xp à Paris avec de nombreux invités à nos côtés sur scène (Marina P, Fred Alpi, Krak in Dub, Daman, Brava, Shema, Stratégie de paix, L’1consolable) mais hélas c’est le jour même où les concerts de plus de 100 personnes ont été interdits (en même temps, si le concert avait été quelques jours avant, on aurait eu bien les boules d’avoir fait le concert et potentiellement créé un moment propice à la propagation du virus…). On a tout de même marqué le coup entre nous et avec l’équipe de la gare xp en y filmant un live « à huis clos », qu’on peut retrouver ici https://youtu.be/hYWmURyJF7o Ensuite on devait faire une tournée avec ces invités plus Lengualerta qui devait venir spécialement du Mexique, ainsi que Drowning Dog et Mal Élevé d’Allemagne. Il a donc fallu annuler puis chercher à reporter ces dates. On a calé des dates pour cet automne mais on est conscient qu’on risque de devoir les décaler ultérieurement si les conditions sanitaires ne sont toujours pas suffisantes…
Pour nous, ayant un boulot à côté de Dubamix, ces annulations n’ont pas eu d’impact financier personnel, mais certains des invités sont intermittents et pour elles et eux la situation actuelle est vraiment dure ! On pense aussi beaucoup à tous les techniciens et à toutes les assos locales pour qui les annulations des concerts et festivals de printemps et d’été risquent d’avoir un impact dramatique…
Ensuite, sur le sujet de l’épidémie, pas d’anecdotes mais plutôt un coup de gueule. Évidemment, la gestion de la crise par le gouvernement est catastrophique à tous les niveaux, et révélatrice de leur politique ultra libérale et liberticide. Mais cela ne doit pas nous amener à tenir des positions abjectes pour autant : je pense aux postures relativisant le nombre de morts et/ou ne voyant les vieux que comme des êtres inutiles (du genre « de toute façon, la plupart étaient vieux, il fallait bien qu’ils crèvent de quelque »), je pense aussi à des positions tenues « dans la gauche radicale » qui voient dans le virus une « bonne chose » (après avoir dit que le virus n’était qu’une « gripette »), en cela qu’il mettrait un sacré coup de frein aux activités économiques, ou bien que le virus serait une sorte de revanche de la nature,… Ces discours me semblent être identiques à ceux des religieux qui nous expliquent qu’il n’y a pas de hasard et qu’on est punis parce qu’on a fauté ! Non, les dizaines de milliers de morts, ne sont en rien une bonne chose ou le résultat d’une « vengeance ». Idem pour toutes les personnes qui subissent de plein fouet les conséquences du confinement (les personnes âgées, les sans papiers, les détenus, tous les précaires,…). Ils et elles sont les victimes d’une pandémie qui n’a pas été créé de toute pièce par le capitalisme (il faut sortir de cette vision complotiste !) même si les structures capitalistes ont eu tout intérêt à ralentir au minimum (et au plus tard) la production, quitte à sacrifier des vies de travailleuses et travailleurs sur l’autel du profit.
A ce propos, je participerai à un hommage aux victimes du Covid-19 lundi 11 mai, sur des bases anticapitalistes et humanistes, vous pouvez retrouver l’appel ici : https://facebook.com/events/s/nous-ne-vivrons-quensemble-hom/2682634358684831/?ti=cl
ABLOC : On pensais que l’ADN de DUBAMIX c’était des samples d’actus et de discours politique calés sur des rythmiques DUB et TECHNO. Dans ce nouvel album, tu vas dans une nouvelle direction en invitant des chanteurs différents pour chaque morceau. C’est une évolution pour passer à autre chose ou c’est juste un concept pour cet album ?
L’aspect « samples d’actualité » avait déjà bien diminué dans nos morceaux depuis l’album « Pour qui sonne le dub » à partir duquel on a préféré axer nos morceaux sur une critique du système capitaliste et du racisme plutôt que sur une critique des « politiques », ou de certaines phrases « d’actualité ». On voulait éviter les focalisations sur tel ou tel homme/femme politique, et tenter de généraliser le discours en tissant des liens, notamment avec les luttes passées. C’était aussi l’idée de l’album Camarades, à laquelle s’est rajoutée la volonté de tisser des liens au niveau international, via la présence d’invités dont les façons de chanter, les langues et les paroles ont beaucoup élargi le spectre initial des compos. Et pour le coup, sur « Camarades », il y a pléthore de chanteurs (une dizaine), ainsi que des instrumentistes (Mathilde Febrer au violon, Bongo Ben des Ligerians aux percussions). La présence de tous ces chanteurs a permis d’aborder différemment (peut être plus profondément ?) les messages véhiculés dans les morceaux, avec davantage d’argumentation que ne le permettent les samples. Cependant, il y a plusieurs morceaux qui restent fidèles à l’esprit « Dubamix » avec de nombreux samples de voix et de musiques (« Camarade » , « Stonewall », « Djelem Djelem » notamment). D’ailleurs, pour celles et ceux qui se demandent ce qu’on a samplé, on peut retrouver toutes les références des samples (ainsi que les paroles et traductions) sur notre site internet ainsi que dans le livret qui accompagne les doubles vinyles et le CD.
ABLOC : Justement à propos des invités, comment s’est porté ton choix ? On suppose que celui-ci n’a pas été anodin…
Avec Sophie (qui a pris en charge une grande partie de la réalisation artistique de l’album) on a fait appel à des chanteurs et chanteuses dont on appréciait à la fois la façon de chanter, le style d’écriture et les paroles. L’élément fédérateur, c’était clairement nos valeurs politiques, et notamment l’internationalisme qui est la ligne conductrice qui a inspiré les différents morceaux. Au final, la présence de tous les invités a créé un joyeux collectif bigarré entre le dub, le reggae, le Rap, le rock et on est bien pressés de se retrouver pour la tournée tous ensemble (en octobre 2020 ou avril 2021 selon les conditions sanitaires…)!
ABLOC : Tu as un parcours universitaire dans le domaine de la musique, avec de bonnes bases classiques, pense-tu que celui-ci influence tes compos?
Oui, énormément ! Déjà, de base, il y a le fait que j’écoute beaucoup de musique dite « classique », et que j’ai envie de la sortir du carcan rigide dans laquelle on la met souvent. C’est une des raisons pour lesquelles on retrouve de nombreux samples « classiques » sur les différents albums (Prokofiev, Brahms, Haydn, Dvorak, Tchaikovsky, Strauss, Chopin, JS Bach, CPE Bach,…). D’autre part, ces « bases classiques » influencent aussi fortement ma façon de composer, que ce soit dans les types d’accords et de grilles harmoniques que j’utilise, ou bien dans les techniques de superposition des différents instruments. Par exemple, dans « Salomé » j’ai basé la musique sur un sample d’une œuvre de Richard Strauss, et j’ai composé toute une partie quasi symphonique (avec des flûtes, clarinettes, bassons, tubas, violons, contrebasses… via le logiciel « Kontakt ») en adéquation avec l’harmonie initialement conçue par Richard Strauss.
des postures et des pratiques anti sexistes dans l’éducation et plus particulièrement dans l’enseignement de la musique
ABLOC : Comme dans les précédents albums il est beaucoup question du droit des femmes. Deux chanteuses (Marina P et Drowning dog) sont d’ailleurs invitées sur [CAMARADES]. Mais il y a toujours très peu de femmes sur scène y compris dans les milieux dits « engagés ». Est-ce que tu le constates aussi et que faudrait il faire selon toi pour faire changer cela ?
Oui hélas ce constat est indéniable. C’est déjà pas fréquent de voir des femmes sur scène, et c’est encore plus rare (euphémisme !) de voir des femmes qui ne soient ni chanteuses ni violonistes ni pianistes. Sans parler des femmes compositrices encore moins nombreuses… ; par exemple, parmi les compositeurs inscrits à la Sacem en 2015, 8% seulement étaient des compositrices). C’est flagrant dans la scène Dub : je pourrais citer des dizaines de chanteuses mais serais incapable de citer une compositrice/productrice Dub actuelle en France par exemple ! Idem pour les sound-systems qui sont essentiellement masculins. Et pourtant, d’après mon expérience, le public est très mixte, je dirais 50/50. On retrouve la même chose dans la musique dite classique, il y très peu de compositrices connues. Comment expliquer ça ? Très probablement par le fait que la société patriarcale, de par les rôles et les représentations qu’elle confère aux femmes, va amèner les filles à choisir davantage la voix ou des instruments qui vont sembler être féminins car reliés inconsciemment à des figures de douceur, de délicatesse (violon, harpe par exemple) en opposition à des instruments qui véhiculent un imaginaire plus viril (cuivres et percussions par exemple)…
Pour changer cela, je pense qu’il y a beaucoup de choses à faire, dès le plus jeune âge, en adoptant des postures et des pratiques anti sexistes dans l’éducation et plus particulièrement dans l’enseignement de la musique, des l’éveil musical. Mais cela ne saurait être vraiment efficace si ça ne s’intègre pas dans un combat sociétal plus large, contre le patriarcat et pour l’égalité !
ABLOC : Pour finir… D’abord, merci d’avoir pris un peu de temps pour nous répondre. As tu déjà en tête des nouveaux projets, tournées etc…
Merci à vous pour l’interview, et bravo pour votre webzine très riche, tant sur l’aspect (contre-) culturel que politique ! Pour les nouveaux projets, je dois dire qu’on navigue à vue…On attend d’en savoir plus sur les conditions sanitaires à la rentrée… On craint de ne pas pouvoir jouer avant un petit bout de temps mais on verra bien !