Chinese rocks est le titre d’un morceau qui raconte les déboires d’un accro au « caillou marron », un mélange d’héroïne peu raffinée et d’anesthésique qu’on trouvait à une époque dans les rues de New York. Dès 1969 les drogues y affluaient, notamment dans le quartier de Greenwich Village, haut lieu de la culture américaine, et commençaient à exercer une influence considérable sur la jeunesse.
Cette chanson autobiographique est l’œuvre de plusieurs musiciens qui, outre être esclaves de la came, ont le point commun d’être les principaux artisans de la scène punk rock. Sortie en 1977 sur L.A.M.F, le premier album des Heartbreakers, elle est créditée aux membres de ce groupe : Johnny Thunders (guitare, chant) et Jerry Nolan (batterie) – ex New York Dolls, et Richard Hell (basse et chant) – ex Television. Mais Dee Dee Ramone va en revendiquer la paternité.
Ce dernier, qui les côtoyait, raconte dans son autobiographie qu’à l’époque tous étaient à fond dans la dope et allaient souvent pécho ensemble. Richard Hell avait l’ambition d’écrire sur la drogue une chanson meilleure que Heroin, de Lou Reed. Reprenant l’idée, Dee Dee compose Chinese Rocks et le propose aux autres Ramones, qui refusent. Il se souvient :
« Un jour, Jerry était là, on a pris de la dope, je lui ai joué ma chanson, et il l’a emmenée avec lui a une répétition des Heartbreakers. Richard Hell a ajouté des paroles, donc je l’ai crédité. Quand Leee Childers a commencé à les manager, il leur a obtenu un deal pour un disque, et Chinese Rocks a été le premier 45 tiré de de l’album L.A.M.F. La chanson a bien plu et a aidé la carrière des Heartbreakers à décoller… Mais les crédits étaient faux. Johnny Thunder m’a blousé pendant quatorze ans, il prétendait avoir écrit cette chanson. Quel truc de gagne-petit ! »
Dans une interview, Richard Hell confirme les propos de Dee Dee, même si sa version des faits diffère :
« La chanson est de moi et Dee Dee, mais Dee Dee en a fait 75%. Je veux dire, tout ce que j’ai fait, c’est écrire deux couplets sur trois. Dee Dee a écrit la musique, le concept était le sien…. Mais il m’a apporté la chanson, il ne connaissait même pas Johnny et Jerry, mais nous étions amis et il pensait que le groupe était génial. Et quand les Ramones n’ont pas voulu faire la chanson, il a dit :
« Écoute, j’ai écrit un couplet de ce morceau avec le refrain et c’est sur l’héroïne, si ça te dit d’écrire le reste, je te le file ! » Et c’est ce qu’il a fait. (…) Quand j’étais dans les Heartbreakers, chacun chantait les chansons qu’il avait écrites et j’ai chanté Chinese Rocks – il y a plein de cassettes live pour le prouver. Puis j’ai quitté les Heartbreakers et ils ont continué à la jouer. C’était leur plus grand succès, alors ils voulaient s’en attribuer tout le mérite. Stupide. »
Les bases de données en ligne ASCAP et BMI confortent ces déclarations, créditant uniquement Dee Dee Ramone et Richard Hell. Ce qui est troublant, c’est que le morceau sonne très Johnny Thunders, même la version qu’enregistreront finalement les Ramones sur l’album End of the Century en 1979… Alors quid ? On ne le saura jamais, mais on peut raisonnablement penser que Johnny Thunders a contribué à ce morceau, ne serait-ce que par son influence musicale sur Dee Dee Ramone, qui admirait le génie du guitariste déjà à l’époque où celui-ci jouait dans les New York Dolls.
Avoir quitté les Ramones en 1989, de retour dans l’East Side après une cure d’abstinence, Dee Dee réalise choqué que toutes les rockstars autour de lui, dont Richard Hell et Johnny Thunders sont sans carrière, sans maison et sans une thune, magouillant dans la rue pour acheter un peu de came. Après avoir sorti un album rap qui ne marche pas, Dee Dee rejoint Stiv Bators (qui vient de quitter The Lords of the New Church) et Johnny Thunders à Paris pour essayer de monter un groupe. Ils enregistrent quelques titres sous le nom de Whores of Babylon, mais ça ne décolle pas. Le foie niqué, Stiv Bators n’est pas en forme. Thunder les incite à prendre de la dope. Dee Dee finit par se casser. De retour à New York, il accuse Stiv Bators de lui avoir piqué la demo du morceau Poison Heart dans sa valise la veille de son départ.
… juste pour énerver ceux qui prédisaient qu’il allait bientôt suivre ses potes dans la tombe…
Peu de temps après avoir enregistré Poison Heart – qui est aussi le titre original de l’autobiographie de Dee Dee – Stiv Bators échappe à son destin de toxico, décédant d’une commotion cérébrale après avoir été percuté par un taxi. Johnny Thunders quant à lui meurt à la Nouvelle-Orléans dans des circonstances non élucidées, d’une overdose selon l’enquête bâclée. Il est probablement victime de fréquentations louches avec lesquelles il a été vu juste avant sa mort, qui l’ont dépouillé d’une grosse somme d’argent d’un récent contrat et de sa provision de Méthadone. Jurant de ne pas mourir par la drogue juste pour énerver ceux qui prédisaient qu’il allait bientôt suivre ses potes dans la tombe, après plusieurs années d’abstinence, Dee Dee Ramone sera quand même victime d’une overdose d’héroïne en 2002. Le seul rescapé est Richard Hell, qui se trouve chanceux car il a réussi à arrêter d’abuser des drogues. Il ne jouera sans doute plus jamais Chinese Rocks.