Le label 619, la collection la plus explosive et décalée d’Ankama Editions, nous propose là une des meilleures bandes dessinées française de science-fiction qu’on ait vu depuis pas mal de temps.
Sur plus de 220 pages, Mathieu Bablet, l’auteur (qui a aussi réalisé Adrastée et La belle mort chez Ankama), nous entraine au cœur d’une société humaine futuriste qui a de quoi nous angoisser. Dans un futur plus ou moins lointain, les hommes ont quitté la Terre devenue inhabitable (pollution oblige), pour vivre dans une énorme station orbitale régie par une multinationale, qui a pour nom Tianzhu (et qui fait beaucoup penser à APPLE). Cette société où les décideurs économiques ont pris le pas sur les décideurs politiques, assure la paix sociale et le bien-être pour tous ou presque. Car il est important de mentionner que sur la station orbitale, humains et animaux humanisés cohabitent et travaillent ensemble (ces derniers subissant malheureusement au quotidien le racisme des premiers). Au fil des pages, on suit Scott, un employé de la station, qui effectue un travail d’enquêteur et de « nettoyeur spécialisé » bien particulier. Contacté par un groupement de rebelles hostiles à Tianzhu, il commence à douter du bien-fondé des missions qu’on lui impose, d’autant plus que certains chercheurs, présents sur la base, jouent les apprenti-sorciers en tentant de créer un être humain (l’homo-solaris) à partir d’antimatière au nez et à la barbe de Tianzhu.
« une œuvre de contestation politique évidente à caractère existentialiste, voire anarcho-libertaire »
Tous les ingrédients nécessaires à une bonne intrigue de science-fiction sont donc réunis pour faire de ce récit un modèle du genre. Les thèmes abordés dans la narration font incroyablement écho à notre société actuelle : progrès génétiques et technologiques, manipulation de masse, stratégie consumériste, formatage intellectuel et exploitation des êtres vivants (antispécisme notamment), concentration des pouvoirs, difficulté de cohabitation sociale et peur de l’autre, etc.
Le format (24 X 32) de cet ouvrage sert parfaitement le graphisme et la mise en page. Les illustrations pleine-page prennent toute leur ampleur à cette dimension. Mathieu Bablet excelle dans la construction de décors incroyables ; ses vues intérieures de la station orbitale ne seront pas sans nous rappeler les centres commerciaux déshumanisés qui s’implantent dans les grandes agglomérations d’aujourd’hui et autres mégalopoles (les vues en perspective sont souvent hallucinantes). Quant à ses dessins extérieurs de la station en orbite et des quelques vaisseaux qui peuplent l’histoire, ils sont également d’une très grande qualité, surtout avec l’espace et les planètes en toile de fond. Le graphisme relativement maniériste des personnages pourrait être gênant pour certains lecteurs, tout comme le parti-pris évident de la mise en couleur, mais le propos du récit est tellement captivant qu’on est vite emporté dans cette aventure intersidérale. Car qu’on ne s’y trompe pas : nous sommes ici en présence d’une œuvre de contestation politique évidente à caractère existentialiste, voire anarcho-libertaire. A noter d’ailleurs que les amateurs de BD SF ne pourront s’empêcher d’établir un parallèle entre Shangri-la et la série Universal War One de Denis Bajram.
Pour clore cette chronique, je recommande cette bande dessinée à tous les lecteurs à partir de 15/16 ans, d’autant plus qu’ils pourront l’acquérir pour moins de 20 euros, ce qui est un exploit du label 619, étant donné le format et la qualité d’impression. Bravo et merci !