Pour cette biographie de Ginette Kolinka Cherkasky, le journaliste Philippe Dana a choisi comme sous-titre « Une famille française dans l’histoire ». Car Ginette grandit dans une famille juive non pratiquante, si ce n’est le respect de fêtes comme Kippour qui est une fête familiale. Son père est d’origine russe, mais né à Paris et sa mère est roumaine. Les deux parents parlent le yiddish seulement quand ils ne veulent pas être compris par les enfants, mais sinon c’est le français. Ginette est une petite parisienne qui grandit dans l’insouciance au milieu de ses 4 sœurs ainées et son petit frère. Son père fabrique des imperméables dans l’appartement du 11è arrondissement où vit toute la famille.
J’évoquerai peu le début, si ce n’est pour dire que Philippe Dana entre dans le livre de façon tout à fait originale, pour c’est vrai présenter une femme elle-même exceptionnelle de par sa joie de vivre et son énergie. Par ailleurs, l’atmosphère dans laquelle grandit Ginette, née en 1925 est tout à fait bien décrite et contextualisée de façon très pédagogique.
J’en viendrai direct à juillet 1942. Un fonctionnaire de la préfecture « a pris la décision de désobéir à sa hiérarchie pour sauver des vies« . Un habitant de l’immeuble où réside la famille les a dénoncés comme communistes. Ginette ne se souvient pas avoir grandi dans une famille particulièrement engagée. Enfin si, la plus âgée de ses sœurs Léa, est très liée à Rirette Maitrejean, responsable 30 ans plus tôt aux côtés de Victor Serge, du journal l’Anarchie, fondé en 1905 par Albert Libertad. Léa a demandé à la famille d’héberger un résistant.
Une petite anecdote racontée un soir alors que nous étions avec mon frère en compagnie de Ginette et sa sœur Jacqueline. Les deux femmes évoquaient leur grande sœur Léa et l’engagement, quand Jacqueline a parlé des vêtements que son père fabriquait pour les Combattants républicains, pendant la Guerre d’Espagne. Ginette qui n’avait alors que 11/12 ans, ne s’en était pas rendue compte et nous l’apprenions en même temps qu’elle.
En tous les cas en 1942, la famille a paru suspecte aux yeux d’un « bon français ». Avertis, ils s’enfuient donc vers la Zone Sud en 4 groupes différents. Ginette et ses deux sœurs sont arrêtées. Elles ne cèdent pas aux interrogatoires et sont relâchées au bout de quelques jours. Malgré l’occupation de tout le territoire français à partir de novembre 1942, pour Ginette et sa famille, installée à Avignon, la vie continue. Bien-sûr, personne ne sait qu’ils sont juifs avant que la Gestapo ne fasse irruption au domicile le lundi 15 mars 1944, arrêtant les personnes qu’elle y trouve: Léon le père, Gilbert le petit frère, Jojo le fils de Léa (arrêtée à Paris en 1943 et qui n’a plus donné de nouvelles depuis) et Ginette. Ils passent par deux prisons avant l’internement à Drancy et le départ le 13 avril 1944 pour « Pitchipoi », synonyme d’inconnu, Auschwitz-Birkenau. Convoi 71, 1500 déportés, 174 survivants en 1945.
J’ai toujours refusé de reparler de la déportation, même avec mes proches (…) je ne voulais pas raconter à des gens qui avaient perdu quelqu’un, comment ce dernier avait souffert, comment il était mort.
Là commence l’irracontable. Ginette a mis presque 50 ans avant de se décider à le faire, lorsque l’équipe de « l’américain qui fait des cassettes » comme elle l’appelle, Steven Spielberg, entre en contact avec elle en 1993 pour le tournage de La liste de Schindler et témoigner pour USC Shoah Foundation qui a récolté « 52000 témoignages réalisés dans 61 pays en 39 langues« . Toutes ces années pendant lesquelles elle a tout fait pour cacher son numéro tatoué.
Je ne dirai rien de tout ce passage car il faut lire ce témoignage pour comprendre non pas ce qu’ont fait des monstres comme on le dit parfois, mais des hommes qui au nom de l’idéologie nazie, ont délibérément réduit d’autres hommes, femmes et enfants, au statut de rien, si ce n’est d’un chiffre avec l’adhésion de presque tout un peuple et de ses collaborateurs français, hongrois, roumains, autrichiens, polonais, ….
Dans un article publié dans le Nouvel Obs lors de la commémoration des 50 ans de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau, Ginette rapportait: « J’ai toujours refusé de reparler de la déportation, même avec mes proches. Non pas parce que j’avais peur que l’on me croit ou que l’on ne me croit pas, mais je ne voulais pas raconter à des gens qui avaient perdu quelqu’un, comment ce dernier avait souffert, comment il était mort. »
Aujourd’hui Ginette a bientôt 93 ans. Membre de l’Union des Déportés d’Auschwitz –UDA – elle ne cesse d’apporter son témoignage auprès des collégiens et des lycéens lors de voyages à Auschwitz-Birkenau, dans les établissements scolaires en France, ou au Mémorial de la Shoah à Paris.
La biographie écrite par Philippe Dana, rapporte la résistance à l’insupportable, mais aussi la gouaille toute parisienne d’un joyeux, drôle et fort bout de femme. La lecture commencée, on ne peut plus s’arrêter de partager ces moments avec elle.