INT : Jean-Hugues Oppel

Jean Hugues Oppel

Entre humour et desespoir

Qu’allait-on trouver derrière la porte de ce pavillon de Nogent-sur-Marne en cette après-midi pourrie ? Le cadavre amputé d’un clerc de notaire ? La bouche cousue d’un politicien véreux baignant dans un bocal de formol ? Une armada de chats noirs (connaissant la passion de notre interviewé pour ces mammifères) s’étant attaqué au dit notaire ? Rien de tout ça (enfin les chats sont là en général), mais un café, une banquette confortable, une affiche du film Six Pack([tooltip text= »1″ gravity= »s »]Film policier français réalisé en 2000 par Alain Berbérian, adapté du roman éponyme de J.-H. Oppel.[/tooltip]), des dessins félins, quelques bouquins et BD et un auteur de polar, bavard, ce qui est plutôt une bonne chose pour réaliser une interview… Bref, tous les éléments étaient réunis pour réaliser un petit entretien plein d’humour et de bonne humeur, noirs, bien sûr !

Comment te présenter à nos lecteurs ?

1m80. Barbu, cheveux longs, lunettes et surcharge pondérale. Concernant mon âge, je ne réponds plus, mais je suis passé de l’autre côté de la moitié de la vie, ce qui fait que le coût de la mutuelle a augmenté. Le look lui n’a pas trop changé. Les cigarettes, j’ai arrêté. Les noix de cajou grillées, je continue. La moto m’amuse moins qu’avant, surtout sous la pluie à -3°C. Mais je me suis trouvé un vélo à moteur.

Tes passions ?

Les chats, les rousses, les cigares (mais je dois arrêter), le whisky, la gastronomie, l’image (cinéma, séries, fictions, documentaires) et la lecture.

Quel est ton métier ?

Écrivain. Mais je dois dire romancier, car d’un point de vue fiscal, « écrivain » entre dans la case « écrivain public ». Mais j’aime bien écrivain, je trouve que c’est un joli mot, comme ça, je me fâche avec Jean-Bernard Pouy, lui il se dit auteur, il trouve qu’écrivain ça fait trop sérieux. Je fais aussi des formations, conférences, et le zouave.

Et tu écris…?

Des polars, et je tiens à cette appellation ! C’est un vieux débat. On a dit d’abord « policier », car effectivement c’était des histoires de policiers ou d’enquêteurs, qui cherchaient à résoudre une énigme. Les camarades des années 1970 ont inventé le mot « polar » et j’aime bien. Il y a la racine « pol » qui dit d’où ça vient et « ar », nanar,Bernard, cametar, etc. Le genre recouvre les thrillers, les romans noirs, d’espionnage, les politiques fictions. Des romans où il y a des flics, des détectives, une critique sociale. De mon côté, j’ai eu plusieurs périodes. L’une très Série noire : banlieue, drogue, pourris, promoteurs immobiliers. Puis une période plus « politique fiction », où l’on prend dans le vrai et on triche un peu : assassinat de président, politicien véreux. Et c’est très rigolo à écrire. J’écris aussi de la littérature jeunesse et j’interviens dans les écoles, les collèges, les lycées et les bibliothèques.

Avec la politique fiction, on se dirige vers le roman d’espionnage ?

Pas vraiment. J’en ai écrit un, mais on ne peut pas en écrire 50, du fait que l’on ne peut écrire un roman d’espionnage avec des idées révolutionnaires, car c’est une histoire d’agent secret, et l’agent secret qui fait de la critique sociale, qui remet en cause le pouvoir, je n’y crois pas trop ! Là actuellement, je suis sur quelque chose que j’appellerais un « western financier », où l’on transpose la fiction criminelle dans le monde de la finance, et ça fonctionne très bien.

Y a-t-il une recette pour écrire un bon polar ?

Il y a forcément une transgression, un dysfonctionnement et un côté obscur. Sans avoir nécessairement besoin d’y trouver un flic, un meurtre, une femme fatale. Si c’est machin qui a trompé bidule, on est dans le roman sentimental. Mais quand Machin découpe Bidule à la tronçonneuse, là c’est autre chose, ça dépasse le chagrin d’amour ! Dans le polar, il y a des gens qui font de mauvaises choses pour de bonnes raisons ou de bonnes choses pour de mauvaises raisons. Cela pose la question du bien et du mal et du juste et de l’injuste et dans le polar, la confusion règne tout le temps.

Quels adjectifs peut-on associer à un écrivain de polar ? Méchant, cynique, sarcastique ?

Méchant, cela dépend avec qui. Cynique, oui. J’ajouterais pessimiste, réaliste (donc cynique) et désespéré. Mais il y a des degrés divers. Par exemple, je suis un pessimiste sans espoir, alors que d’autres en ont. Mais il faut mettre des garde-fous à tout ça, car le cynique peut devenir ricaneur, le pessimiste sombrer dans le désespoir (je me combats moi-même…). Nous passons notre temps à regarder la noirceur des choses, alors tous les matins, je me dis, « On va positiver », et je regarde les infos et ça s’arrête tout de suite…

Essayes-tu de faire passer un message ?

Déjà, si je contribue à donner du bon temps à mes concitoyens, à mettre en garde, à rappeler que le monde n’est pas rose, même s’il n’est pas si noir que ça, c’est bien. Par le biais de la fiction, on peut dire des choses que les gens n’ont pas envie d’entendre dans un documentaire. Je pense à Denis Robert([tooltip text= »2″ gravity= »s »]Journaliste et écrivain français qui a dénoncé notamment le fonctionnement de Clearstream, ce qui lui a valu des poursuites judiciaires.[/tooltip]) qui a ramé comme un sauvage. Alors que dans un roman, on peut dire la même chose que lui, changer trois noms et on ne peut rien nous dire. J’en reviens toujours à Steinbeck, qui part, envoyé par un journal, observer la crise dans les milieux paysans, et qui ne revient pas avec un reportage, mais avec Les raisins de la colère. Et le message passe.

Pourquoi écris-tu ?

Je citerais Vargas : « On écrit pour vivre demain ». J’écris pour plusieurs raisons : pour gagner ma vie, pour ne pas désespérer, effectivement pour vivre demain, ça me fait plaisir, ça fait plaisir aux autres. Puis il faut le dire, c’est quand même un métier agréable.

Peux-tu nous dire pourquoi as-tu arrêté de travailler dans le cinéma ?

J’étais opérateur. Mais j’ai commencé à écrire de la littérature jeunesse et on a commencé à me demander d’intervenir dans des établissements scolaires, des bibliothèques. J’aurais bien fait des films, mais je n’ai pas eu le courage de vendre mes meubles pour financer un court métrage !

Comment écris-tu, un scénario complet en tête ou au gré de l’inspiration ?

J’ai tout en tête, point de départ et point d’arrivée. Entre les deux, il y a les grandes lignes, plus ou moins détaillées. Là, je vais commencer un roman et tout est à peu près bien construit. Ça fait un an qu’il tourne dans la tête, je le connais, même si je vais découvrir des choses en cours de route. Parfois en écriture, il y a des trucs que tu avais prévus et qui ne marchent pas et que tu n’avais pas prévuset qui arrivent, et des personnages qui évoluent. Il y a souvent un snobisme des écrivains, qui leur fait dire : « Ah mais si je connais l’histoire, je ne peux pas écrire, si je connais la fin, il n’y a pas de surprise ! » Mais généralement, sur ceux qui disent ça, il y a 9 % de gros nuls qui écrivent au fil de la plume et ça ne tient pas debout, 90% de gros menteurs et 1% de génies pour qui ça marche du premier coup comme ça, mais ils sont très rares, et agaçants !

Le polar n’a pas une place très noble dans le paysage français, comparé aux États- Unis par exemple, qu’en penses-tu ?

Ça s’est amélioré. C’est en dents de scie. Il y a une vraie différence avec les États-Unis, enfin je dirais avec les Anglo-Saxons. Là-bas, si tu vends dix millions de copies, tu es un grand écrivain. En France, c’est le contraire, si tu as beaucoup de succès, hou la ! Chez nous, le polar a eu très mauvaise réputation, mais c’est par cycle. Il reprend des lettres de noblesse à un moment, puis ça s’arrête et ça repart à nouveau. C’est la Série noire qui a vraiment lancé le genre, puis ça s’est tassé jusqu’à repartir dans les années 1970 avec Manchette et toute la bande. Puis il y a eu un petit creux en 1981, les « bons » avaient gagné, on n’allait pas tout de suite les attaquer ! Bon, ça n’a pas duré longtemps, en 1983, ça a redémarré : Jonquet, Daeninckx, moi-même, puis replongé, repris à nouveau du poil de la bête avec Le Poulpe, puis plongé à nouveau, et pour finir, Fred Vargas a explosé une barrière, publiant à 300 000 exemplaires. Elle a gagné le prix des lectrices de ELLE avec un roman policier, dans une collection identifiée comme telle. Là, le genre a retrouvé des lettres de noblesse et aujourd’hui ça a replongé. Est-ce le moment social ? Je ne sais pas, ce n’est jamais gagné d’avance.

Quels sont les deux auteurs actuels que tu conseillerais à nos lecteurs ?

Romain Slocombe([tooltip text= »3″ gravity= »s »]Auteur de roman et de bande-dessinée, réalisateur, scénariste, membre du groupe Bazooka (dans les années 1970, collectif basant principalement ses travaux sur le collage d’images, dans la veine des situationnistes).[/tooltip]), parce que c’est un mec qui a un univers dingue, et Jim Nisbet. Il est chez mon éditeur. C’est un menuisier de San Francisco qui écrit des polars complètement barrés et c’est fabuleux ! Je préviens les lecteurs, c’est le diesel du polar. Il faut s’accrocher pendant les vingt ou les trente premières pages, mais il faut absolument lire Le démon dans ma tête chez Rivages noirs. C’est dans l’un de ses polars qu’il a écrit la phrase : « Vis imbécile parce que tu vas mourir. »

Quel livre, quel disque et quel film emporterais-tu sur une île déserte ?

Ça veut dire qu’il y a l’électricité alors ! Pour le livre, Le manuel de survie en conditions difficiles, ou Je fais ma pirogue moi-même. Sinon, les oeuvres complètes de Sherlock Holmes en un volume, j’adore ça. En plus, une oeuvre intégrale peut être sur du papier qui peut avoir lui-même un deuxième usage… Le film : Les sept samouraïs de Kurosawa. Le disque : Sergent Pepper’s des Beatles. /

Photo Yann Levy

Notes

1. Film policier français réalisé en 2000 par Alain Berbérian, adapté du roman éponyme de J.-H. Oppel.
2. Journaliste et écrivain français qui a dénoncé notamment le fonctionnement de Clearstream, ce qui lui a valu des poursuites judiciaires.
3. Auteur de roman et de bande-dessinée, réalisateur, scénariste, membre du groupe Bazooka (dans les années 1970, collectif basant principalement ses travaux sur le collage d’images, dans la veine des situationnistes).

 

Bibliographie

SÉRIE NOIRE (Gallimard) :

– CANINE ET GUNN (avec Dorison), 1983
– BARJOT !, 1988, réédition Rivages/Noir 2011
– ZAUNE, 1991, réédition 2004
– PIRAÑA MATADOR, 1992, Folio Policier 2001 RIVAGES/NOIR (Payot)
– BROCÉLIANDE SUR MARNE, 1994
– AMBERNAVE, 1995
– SIX-PACK, 1996, (porté à l’écran par A. Berberian en 2000)
– TÉNÈBRE,1998
– CARTAGO, 2000
– CHATON:TRILOGIE, 2002
– AU SAUT DE LA LOUVE (Recueil de nouvelles), 2004
– FRENCH TABLOÏDS, 2008
– RÉVEILLEZ LE PRÉSIDENT !, 2011
– LA DÉPOSITION DU TIREUR CACHÉ, 2006
– TROUILLE, 2009, (adaptation BD du roman de Marc Behm), dessin de Joe G. Pinelli
– BROUILLARD AU PONT DE BIHAC, suivi de
– 58 MINUTES POUR MOURIR, 2009 (adaptation & dessin de Gabriel Germain)

JEUNESSE :

– IPPON, Souris noire, Syros, 1993
– NUIT ROUGE, Souris noire, Syros, 1995
– TROIS FÊLÉS ET UN PENDU, Polar mini Syros, 1998-2009
– ALLER CHERCHER MEHDI À 14 HEURES, Polar Mini Syros, 2011
– DANS LE GRAND BAIN, 1999
– TIGRE ! TIGRE ! TIGRE !, Souris noire – Syros, 2000
– PIERRE QUI ROULE N’AMASSE PAS MAHOUSSE, Les mini Syros, 2002
– ACRÉ MEHDI !, Souris noire – Syros – 2004
– LE FEU AU LAC, Une enquête de Freddy, Rouge Safran, 2009 (première publication collection « Le Furet » , Albin Michel Jeunesse 2000)
– PIÈGE À LA VERTICALE, Une enquête de Freddy Rouge Safran, 2010, (première publication collection « Le Furet » Albin Michel Jeunesse 1997)
– DES RAYURES DANS LA NUIT Une enquête de Freddy Rouge Safran, 2011
– HALTE AU FEU, Rat Noir, Syros, 2004
– ALLERS SANS RETOURS, Rat noir, Syros, 2008
– FOIS NOIR, Hors-Série Souris noire, Syros, 2007
– DAVID A DU FLAIR,