Après la publication en 2006 d’un essai sur la Brigade Dirlewanger, (unité de l’armée nazie au recrutement « spécial », réputée pour sa cruauté et les atrocités qu’elle a commises), l’historien s’attaque ici au mythe d’un régime nazi composé de brutes, pour montrer que ce système a été théorisé, légitimé par des historiens, des philosophes, des juristes, des géographes qui ont eux-mêmes pris part aux tueries comme officiers au sein d’unités d’[tooltip text= »Einsatzgruppen » gravity= »s »]Les Einsatzgruppen (unités mobiles d’extermination) étaient des escadrons composés principalement de SS et de policiers allemands, qui agissaient sous le commandement d’officiers de la Police de sûreté et du Service de sécurité. Ils avaient, notamment, pour mission d’exterminer les personnes qui étaient considérées comme des ennemis politiques ou raciaux et qui se trouvaient derrière les lignes de combat allemandes en Union soviétique occupée. [/tooltip]. Des « intellectuels d’actions ». En suivant le parcours d’un groupe d’entre eux, Christian Ingrao nous éclaire sur le processus et les fondements du passage de l’intellectualité à la violence de guerre.
Dans un premier temps, il nous explique les raisons, le mécanisme et les modalités de l’engagement de ces hommes dans le nazisme. Le traumatisme de la défaite de la Première Guerre mondiale et le sentiment d’être entouré d’ennemis sont des éléments explicatifs importants pour ces jeunes intellectuels qui vont devenir des militants du nazisme, créer des réseaux et essayer de mettre leurs savoirs au service de l’idéologie à laquelle ils croient profondément. Proche de l’anthropologie historique, spécialiste de l’étude de la culture de guerre, l’auteur analyse en effet le régime nazi du point de vue d’un système de croyances teinté de millénarisme, notamment l’espérance en une ère nouvelle, que l’Allemagne nazie était en train de construire. « Cette guerre nous la menons pour l’existence même de notre peuple » écrit l’un des hommes du Sonderkommando 4a de l’Einsatzgruppe C, qui les 29 et 30 août 1941 élimina les 33 371 juifs de Kiev dans le ravin de Babi-Yar. Associé au « déterminisme racial, au nordicisme et à l’antisémitisme à formulation savante », l’adhésion au système de croyance nazi va conduire ces hommes à participer aux grandes tueries de l’Est. C’est le temps de « la violence en actes », qui constitue la deuxième grande partie du livre, la création de la RSHA, la reconquête de la germanité, les grandes tueries des Einsatzgruppen.
L’auteur rappelle que lors des grands procès de l’après guerre, la plupart des intellectuels SS adoptèrent la stratégie de la négation, de l’obéissance à un « ordre d’extermination », eux qui pourtant, comme le démontre l’auteur en s’appuyant sur les archives de la SD et de la SS, ont totalement adhéré, avec ferveur, à la culture de guerre nazie, en lui apportant à travers leurs travaux « scientifiques » et historiques, une légitimation, et en participant directement au génocide des Juifs.