Cela fait plusieurs fois que nous croisons DDD, armé de ses cartons, de son cutter, de ses rouleaux à peinture et de ses pots de peinture récupérés ici et là. Nous l’avions rencontré aux 20 ans de L’Usine, à Genève. Les réalisations, la capacité d’improvisation en fonction des matériaux de récupération glanés ici et là, ainsi que la technique nous avaient bluffés. Et puis bien sûr, le personnage : ouvert et disponible, accessible et humble, authentique et généreux. En février dernier, nous nous sommes recroisés à l’occasion d’un concert organisé au fin fond du Vercors. Nous avons donc discuté en vue de réaliser enfin une interview. La voilà. Bonne lecture, et merci à DDD.
Peux-tu te présenter ? Que signifie « DDD » et d’où vient ce nom ?
DDD : Didier DDD, 44 ans, tombé tout jeune dans la marmite rock, graffiste tout terrain, plasticien sans plastique, musicien raté, fouilleur de poubelles, actuellement SDF. Les 3D sont issus de mes nom et prénom. Ils signifient également DEMOCRATIKDOMESTIKDESIGN (tout attaché) ce qui est pour moi plus qu’un nom ou surnom. C’est ma théorie du « je crée ce que je veux avec ce que je vois ». Ça se traduit par des peintures au pochoir mais également par divers détournements d’objets, des slogans, des portraits, des t-shirts, des travaux en pleine nature, de l’infographie, des installations, des tattoos… Le terme DEMOCRATIK est aussi un clin d’œil forcé à toutes ces ré-publiques qui se disent démocratiques, et où le plus fort ou le plus nombreux a forcément raison. D’où j’ai sorti ce nom ? Il me semble qu’il a été inspiré par le nom du groupe de rap DEMOCRATES D. Mais chut ! le répète surtout pas, parce que sinon tu vas perdre des lecteurs (rires) et ils vont pas lire jusqu’au bout. Pour les autres : bienvenus dans ma tête !!
À partir de quand as-tu commencé à faire des pochoirs ? Comment as-tu découvert cette technique et qu’est-ce qui fait que tu as commencé à faire ça plutôt qu’autre chose ?
L’histoire est toute bête. Un jour je dé-couvre un portrait dessiné de Vladimir Ilitch Oulianov dans un fanzine et sans vraiment savoir qui il est, il me prend l’envie de me l’accaparer et de le peindre. La technique qui m’apparaît évidente est le pochoir. Mon frangin en avait déjà fait quelques-uns à l’époque avec des logos de groupes. L’effet est rapide, efficace et énorme !! Depuis, j’ai essayé d’autres trucs que j’ai également adoptés.
Quand on s’est rencontré, tu réalisais des pochoirs en direct, façon happening, sur des supports de récupération. C’est ta pratique principale et exclusive ou tu réalises aussi des pochoirs dans la rue, de façon sauvage ?
Un grand moment que cette fiesta à l’Usine !! … Dans ma pratique j’essaye de trouver tout ce qu’on peut faire avec l’outil nommé « pochoir ». Je l’ai donc décliné en peintures sur divers supports, la plupart de récup, mais aussi en installation avec des lumières, en démo et perf, en atelier… Ce que je peux te dire aussi, c’est que le personnage si bien nommé DDD ou Didier DDD ne dégrade pas sauvagement des supports non destinés à l’être avec de la peinture (rires).
Dans le « milieu » du pochoir, on oppose souvent les réalisations illégales de rue, aux réalisations destinées à être exposées dans des galeries d’art. Peux-tu nous expliquer ton sentiment par rapport à ce clivage ?
J’essaye d’être en dehors de ces guéguerres, je ne veux appartenir à personne, à aucun mou-vement précis. Ce qui m’intéresse par dessus tout, c’est de faire ce qui me plaît, par moi-même et pour moi-même ! J’ai bien sûr un avis sur la pratique des autres pochoiristes mais elle n’est pas à ce niveau-là. Savoir si une galerie est plus crédible que la rue, si la rue va te rendre crédible ou pas… C’est pas mon problème ! Ce qui m’intéresse c’est le sens de notre création, et de la mienne en particulier. Celui qui n’a rien à dire, peu importe le contexte, il aura toujours rien à dire ! Moi, parce que je vais parler pour moi, j’essaye de faire entrer le pochoir dans des lieux autres, incongrus parfois, de trouver des applications du pochoir dans le quotidien, de le rendre accessible, compréhensi-ble par le plus grand nombre.
Si on te proposait d’exposer tes pochoirs (et aussi de les vendre) dans une galerie, accepterais-tu ?
Pourquoi pas… mais c’est vraiment pas un truc après lequel je cours, mais vrai-ment pas ! Il faudrait que ces gens-là me comprennent. Je l’ai fait une fois dans ma vie, il y a une douzaine d’années, et j’ai exposé depuis dans plus de 50 lieux, très loin des vraies galeries, parfois des lieux que j’ai in-ventés parce que j’en avais envie ou besoin, et d’autres fois dans des stades, dans des rues, des médiathèques, des WC, des voitures… La galerie, c’est un truc très sérieux, pour ceux et celles qui font de l’art, et parfois du fric. Moi, j’ai pas encore cette prétention, même si j’ai du mal à être modeste sur ma pratique car comme tout créateur, je pense que mes idées sont bonnes. J’ai envie de faire autrement, différent, voilà tout : c’est pour ça que je m’intéresse beaucoup à ce que font les autres pochoiristes, justement pour ne surtout pas refaire ce qui a été fait, sinon y a aucun intérêt. Et si on m’invite dans une galerie… on verra à ce moment là, je verrai qui m’invite, pourquoi moi, et à quelles conditions.
Tu réalises des formats assez grands. Concrètement, comment fais-tu pour réaliser des dessins de cette taille ?
Là aussi, j’ai essayé de faire différemment. Là où mes comparses font un énorme et magnifique pochoir en un seul morceau, moi, j’ai imaginé ma prestation comme un spectacle et pour du public. Je fais donc une création d’image en morceaux, appliqués sur le support comme pour raconter une histoire, avec un début, une suite et un final où le public découvre à la toute fin qui j’ai peint grâce à quelques détails incontournables d’un visage par exemple. J’aime que les gens cherchent jusqu’au bout qui je suis en train de peindre. Car je ne dis pas qui je suis en train de peindre, c’est un jeu, je réponds par oui ou non aux propositions du public qui vient me dire « c’est untel ? », « C’est tel autre ? ». Rien que du jeu.
Alors que pas mal de pochoiristes utilisent de la peinture en bombes, tu travailles au rouleau, à la peinture de récupération, encore une singularité de ta part… Comment s’est fait ce choix ?
Là aussi, c’est un choix qui s’est imposé naturellement à moi. Quand tu ne veux pas consommer, ou le moins possible, et que tu veux faire différent, une des solutions est de faire avec ce que tu trouves dans ton environnement. Et c’est ma solution. J’aurais aussi pu voler pour avoir de belles peintures, mais j’ai choisi bien plus simple en faisant dans la récup’ à presque cent pour cent. C’est une sacrée contrainte, mais je l’ai choisie et je l’assume, tout comme j’ai choisi d’évoluer librement loin des histoires de street art et des cultures urbaines. Car je n’ai vrai-ment pas un mental urbain.
On sent une forte influence (au niveau du graphisme et des références) au DDD leTraveller du Stencil rock alternatif des années 1980. C’est juste une impression ou ça correspond à quelque chose de profond, de personnel et de fondateur ?
Tu parles d’influences, moi, j’utiliserais plus le mot « culture ». J’ai une culture rock, et musicale en général. Non pas en tant que professionnel des musiques mais en tant qu’acteur. Je me sens acteur de la scène rock depuis plus de trente ans, quand je suis public, quand j’écoute un vinyl, quand je fais un fanzine, quand j’organise un concert, quand je fais une interview… Tout ça, c’est intimement lié, ça fait une richesse, c’est mon terreau, c’est mes racines, tout ça fait une vraie culture : MA culture ! Nous les rockeurs, punk-rockeurs et compagnie, nous appartenons à un mouvement, à une culture avec du graphisme, des danses, des solos de guitares, des coupes de tifs et des looks pas possible, des ingénieurs du son, des groupes sur scène, des vidéastes, des têtes pensantes, des graffistes, des inventeurs, une scène, des scènes, des courants de pensées,… On a voulu nous faire croire que le hip hop était le seul truc bien structuré. Une fois de plus je dis NON ! Et quand je dis ça, je n’oppose surtout pas le hip hop et le rock : je les fraternise ! Car ils sont frères. Je peux aussi fraterniser avec le reggae, avec l’électro,… C’est un truc de politiciens que de nous opposer. Ils essayent de nous diviser mais je dis NON !!
Pour toi, le pochoir est-il associé à la culture punk ? Est-ce une culture underground ?
À la culture punk en particulier ? Je ne sais pas. Mais à la culture de ceux et celles qui ont quelque chose à dire, oui. Et rapidement en plus, et dans l’urgence souvent. Historiquement, c’est vrai que le pochoir est facilement « politisé » et j’aurais tendance à dire que le pochoir est une des activités de la mouvance rock, mais il ne faut pas croire tout ce que je dis ou que je pense (rires). Mais c’est un peu comme ça que je le vis. Et pour moi, le vécu est bien souvent plus important que la théorie historique ou sociologique. Beaucoup de portraits aussi dans tes réalisations : souvent des figures marquantes du punk, du rock au sens large…
Ne crains-tu pas d’oeuvrer à une sorte de « starification » ou de « culte de la personnalité» ?
Chacun et chacune est libre d’interpréter mes créations comme il ou elle le veut. Starification ? Non, je n’y crois pas dans le sens où je n’ai ni le pouvoir, ni l’envie de créer des stars. Pas plus que toi en m’interviewant, tu ne feras pas de moi une star. Pour moi, il s’agit de rencontres, des rencontres graphiques. Ce sont des images, des représentations. Que ça parle aux gens ou que ça fasse écho en eux est un grand plaisir. Que les gens se reconnaissent dans ma démarche est un de mes objectifs. C’est aussi une façon de leur dire : votre culture m’intéresse. Respect ! »
Où mets-tu la limite entre le « fan » qui fabrique une icône et l’hommage, la référence ?
Je ne fabrique pas d’icônes, les icônes sont déjà existantes ! C’est souvent des hommages à des personnes qui m’ont marqué, c’est vrai, d’une manière ou d’une autre. Mais je peux aussi peindre des personnes que je n’aime pas particulièrement, car mon message ne se trouve pas seulement dans leur nom. C’est pas aussi simple que ça ! C’est plus dans une démarche « pop », ou de mémoire, que je m’intéresse à qui est passé sur cette planète, comme les préhistorock ont peint dans leur grotte ce qu’ils voyaient.
En dehors des références rock et punk, on retrouve aussi un portrait de Bob Marley, pas le plus keupon des artistes, un autre de Mishima, dont on sait que politiquement, il a eu un parcours plutôt étrange et controversé… Tu peux nous en parler ?
Tu l’as compris aussi : je ne m’adresse pas qu’au milieu keupon ou rock. Heureusement ! Celui ou celle qui s’est intéressé de près aux Bérus comme moi, a de fortes chances d’avoir entendu parler de Mishima, ou de l’avoir croisé graphiquement. Politiquement, on en pense ce qu’on veut, de ce qu’il était, de ce qu’il a écrit, du comment il est mort. N’empêche que c’est un très grand auteur, une personne marquante du XXe siècle, et qui estballé au bout de son engagement. Et puis graphiquement, esthétiquement, quel impact ! Quant à Bob, il n’est peut être pas étiqueté « punky », n’empêche que la plupart des acteurs initiaux de la mouvance reggae sont des débrouillards, ils font avec ce qu’ils sont ou qu’ils ont, ils disent ce qu’ils ont à dire à leurs proches et à l’univers. Et tout ça, c’est quand même bien dans l’idée que je me fais du mouvement punk.
Te considères-tu comme un artiste ? Un peintre ? Autre chose ?
Oui pour artiste car c’est une histoire de place ou de position dans la société. Peintre, parfois. Autre chose, beaucoup !!! J’essaye de véhiculer du positif, du revendicatif, du combatif. Je suis dans un combat permanent contre l’ignorance et la connerie humaine. Émancipe-toi, réfléchis par toi-même ou avec d’autres, aide, aime… Je me sens un peu investi d’une mission que j’ai choisie, c’est vrai, celle de colporter les idées d’un mouvement qui va de l’avant, avec des valeurs de respect de l’humain et de l’environnement… Je suis un « croisé » depuis plus de vingt ans, avec une belle croix, celle-là même qui met en garde et qui signifie « NON ! », ou « produit toxique ». Elle n’appartient pas aux Bérus spécialement, bien qu’ils l’aient également adoptée. Mais on peut dire que je suis un « petit bérurier » qui a bien grandi car moi, j’aime bien la soupe !
Quels artistes, pochoiristes ou non, font partie de ce qui te nourrit, de ce qui t’influence ?
Bon, tu l’as compris, mes influences sont basiquement chez les acteurs du rock indé des années 1980. J’ai trouvé chez les Kortatu-Bérus de quoi me rattacher à la vie, je suis passé du vrai NO FUTURE baba cool que j’étais, au YES FUTURE. Autant te dire que ça marque. Et c’était autant le côté graphique que politique qui m’a plu. Le son et l’image sur un même niveau, je n’ai pas choisi l’un ou l’autre. Et comme j’ai digéré tout ça depuis, j’ai aussi pu m’intéresser après aux autres courants musicaux revendicatifs. J’en sais maintenant beaucoup sur le reggae et le rap. Et ça me fait du bien, et je m’appuie sur tout ça, sur toutes mes connaissances pour être moi aujourd’hui. Politiquement, penses-tu que tes créations soient « engagées » ou « politisées » ? L’influence de la culture punk et tout son aspect politisé ressortent tout de même pas mal. Ouf ! Alors j’ai pas travaillé pour rien ! (rires). Je suis engagé, ça j’en suis sûr, mais pas forcément sur ce que les gens voient d’emblée de mon travail : je suis de moins en moins frontal. Ce qu’ils ne voient pas, c’est comment je travaille, dans quelles conditions matérielles, sur quels supports, et puis toutes les facettes de mon activité créatrice qui n’est pas seulement consacrée au pochoir. Pour moi, l’influence de la culture punk n’est pas que dans l’esprit. Elle est dans mon vécu, dans mon oeuvre qui est loin d’être complète. La solidarité, la revendication, le pouvoir de dire « non », la récup, la démerde, faire ce que je veux, le respect… sont mes valeurs punk. Ce sont tout simplement mes valeurs. Et le mot « punk », c’est juste pour situer, c’est une valeur ajoutée mais en aucun cas une étiquette obligatoire. Oh, ça non !
Quel futur à tout ça ?
Je n’ai pas de futur et de place dans leur monde de merde ! Mais reconstruire un autre monde : ça, c’est aussi mon truc. C’est ma punkitude à moi, à mon échelle, avec des choix de vie faits il y a plus de vingt ans, comme celui d’arrêter de me déglinguer la tête, de fumer, boire de l’alcool, manger de la bidoche, boire des cocas… Et il y a quinze ans, j’ai aussi jeté ma télé ! J’ai envie et besoin d’être conscient par moi-même de ce qui se passe autour de moi, et en moi. Le punk, c’est la liberté de s’inventer la vie qu’on a envie de vivre ! Y a pas UN modèle punk, y a pas UNE esthétique punk, y a pas UN calibre punk, n’en déplaise à ceux et celles qui imaginent le contraire. Le punk c’est la liberté totale, c’est la variété, le fun, le pluriel, et loin de la politique où y a des personnes bien pensantes qui te font peur, et qui te disent quoi faire en te manipulant. Beuèèèèrk !
Un de tes pochoirs (« Skate to hell ») fait référence au skate-board. C’est un universque tu connais, qui t’influence ?
C’est le côté trash qui m’intéresse, le fun, la déglingue physique, l’implication totale… Pour moi, c’est bien punk dans l’esprit, hardcore, no limit, tu ne mens pas sinon t’es mort. Malheureusement, je suis une bille sur une planche, snif ! Tant pis, ça sera pour une prochaine vie. Ha !Ha ! Tes pochoirs sont largement associés à la musique : quelle est la bande-son de ton quotidien ? Quels sont pour toi les groupes et artistes incontournables ? Un air dans les poumons. Un autre air dans la tête. Constamment. Je vis avec la musique, grâce à la musique. Les groupes et artistes que j’écoute très régulièrement sont Fermin Muguruza, ACDC, Joy Division, Bob Marley, Assassin, The Clash, les Thugs, heu…, UB40, Public Enemy, Marvin Gaye, heu,… La Souris déglinguée, Dead Can Dance, James Brown, This Mortal Coil, Trust, Massive Attack, NTM, Sick Of It All… sans oublier les incontournables Bérus, OTH qui reviennent, mais que j’écoute plus en groupe. Il y en a bien sûr un grand nombre d’autres, envoyez-moi une enveloppe timbrée pour une réponse presque complète.
As-tu un message particulier pour les jeunes qui nous lisent et qui ont envie de se mettre au pochoir ?
Testez, testez, testez ! Osez faire différent, ne vous contentez pas de faire dans la photocopie comme beaucoup qui reproduisent très bien et à l’identique une photo. Inventez votre style, ni old school, ni new school mais NO SCHOOL !! Ne suivez pas, précédez ! Devenez qui vous avez envie de devenir ! Si on a envie de te faire venir quelque part, ça se passe comment ? Très simple, suffit de me contacter et ensemble on se cale une date et on voit si les conditions sont réunies pour que ça se passe bien pour tous. C’est-à-dire que je peux faire ce que je veux (très important !!) et s’il y a quelques pépètes pour m’assurer de quoi bouffer, c’est nickel. Car c’est terrible, mais l’amour et l’eau fraîche ça nourrit pas suffisamment son homme (rires).
Le mot de la fin ?
Mais non ! J’ai pas envie que ça se finisse, moi !