Voilà déjà cinq siècles que Dial House repose dans un coin de campagne de la forêt de Epping, « le poumon de Londres » en Grande Bretagne. Aujourd’hui, la maison est bien tordue, mais l’effervescence y règne comme jamais depuis qu’en 1967 des futurs membres de CRASS s’y sont installés. CRASS, c’est le groupe qui aura marqué l’histoire du punk par ses prises de position anarchistes, pacifistes et avant-gardistes, avec des productions musicales diffusées à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires, tout cela dans un réseau strictement alternatif et non commercial. Ainsi, à sa sortie, le single « How does it feel to be the mother of 1000 dead » fut assez vendu pour être dans le top ten des ventes de disques anglaises. Mais il n’y apparut pas… 44 ans après, la vieille demeure accueille toujours débats d’idées, projets politiques, studio d’enregistrement, créations littéraires et picturales.
Quelle est l’origine de Dial House ?
Historiquement, c’est une maison que Penny (Penny Rimbaud – auteur compositeur et batteur de Crass) et moi (Gee Vaucher, peintre, graphiste, auteure, créatrice des pochette du groupes) avons fondé dans les années 1960. Penny s’y est installé de suite avec quelques amis et je l’ai rejoint plus tard. L’idée de la maison fut inspirée à Penny par le film The Inn of the Sixth happiness (L’auberge du sixième bonheur) qui évoque le partage, un mode de vie plus alternatif, le soutien mutuel, la patience, l’amour, la confiance, enfin tout ce qui semblait manquer dans nos vies (ce serait intéressant de revoir ce film aujourd’hui). Depuis, la maison a toujours été un espace de créativité s’appuyant sur des bases artistiques et accueillant de nombreux musiciens, cinéastes, poètes et divers autres artistes.
La création du lieu était-elle liée au contexte des années 1960-1970 ?
Oui, nous sommes tous les deux nés dans les années 1940 : ainsi, dans les années 1960, nous faisions partis de cette génération emportée par une vague de grands bouleversements à travers le monde. Cette jeunesse, qui s’est battue en faisant entendre sa voix en masse, pour que tout change, pour plus de justice, de paix et la prise en charge de soi. Malheureusement, ce grand élan d’idées et d’énergie s’est peu à peu dissipé, détruit par différentes stratégies et divers gouvernements pour finir par imploser de lui-même, pris par son propre individualisme. Ce que je retiens quand même de tout ça, c’est le questionnement individuel, une leçon apprise dans ses années-là que je n’oublierai, je l’espère, jamais.
Et aujourd’hui ?
Nous avons dû acheter la maison. C’était la seule solution si nous voulions poursuivre le projet, la seule possibilité qu’il nous restait après des années de lutte contre le propriétaire. Évidemment, nous ne pouvions pas l’acheter comme ça, et aujourd’hui encore, nous continuons à rembourser quelques amis. Quand ce sera fait, nous monterons une fondation. Mais nous devons encore pas mal d’argent. C’est toujours la même histoire, où l’on essaye de créer quelque chose avec très peu de moyens, et on ne sait pas si cela pourra aboutir. Mais on le fait quand même. En plus, nous n’avons jamais couru après l’argent, ce n’est pas ce qui conduit nos vies, et nous sommes de mauvais businessmen. Nous fonctionnons plutôt au jour le jour ; parfois, on a des sous, parfois non et quand on en a, cela va directement dans le remboursement de la dette pour la maison.
Pourquoi avoir choisi ce mode de gestion ?
On va en faire une fondation d’utilité publique pour que le projet puisse continuer sur les même principes qu’aujourd’hui : une maison qui accueille des étrangers ; un lieu créatif dans son sens le plus large. Bien sûr, c’est une tâche difficile de demander à des gens de poursuivre dans le même sens et on ne peut pas prévoir ce qui se passera après, mais j’espère et je pense qu’il va y avoir des gens qui vont reprendre le flambeau et développer le projet. Nous avons déjà un groupe d’amis qui vont devenir officiellement membres de la fondation et il y a aucun doute qu’ils en ont compris le principe. Ce sont des gens qui sont déjà très actifs et capables de se retrouver autour d’une table et de poser les problèmes, ce qui je pense, est important pour qu’une gestion collective
ait lieu.
Quelles sont vos relations avec le village dans lequel vous habitez ? Les villageois connaissent ils votre projet ?
Je ne fais pas vraiment de pub sur ce qui se passe à Dial House. Les gens du village nous connaissent, ils pensent que c’est un endroit bizarre et lui donnent divers noms comme « la maison hippie », « l’endroit bohème », « le fief des musiciens », et j’en passe. Mais de toute façon, je ne crie pas sous tous les toits que nous sommes là, je préfère garder mon intimité. Cela dit, je connais beaucoup de gens dans le coin, car j’y enseigne et quand je vais au village, ou à Epping, le village d’à côté, je passe des heures à discuter. Parfois, certains jeunes du coin sont venus voir ce qui se passait et ont pu se joindre à nous, comme Mick Duffield, cinéaste, qui, de l’écolier du village d’à côté qui nous rendait régulièrement visite, est devenu l’un des membres de Crass. Il s’est d’abord mis à filmer le lieu, pour finalement s’investir directement dans le projet.
En plus du projet autour de Dial House, vous avez lancé Exitstencil Press. Peux tu nous en dire plus ?
C’est une maison d’éditions que j’ai entreprise quand j’habitais New-York dans les années 1970, au même moment où je commençais le journal International Anthem. Shock Slogans and other Token Tantrums, le petit livre de Crass, y a été publié. Aujourd’hui l’aventure reprend, ce qui est pour moi un peu la poursuite d’un rêve, mis de côté pendant trente ans, mais jamais oublié. Et c’est vraiment enthousiasmant d’éditer à nouveau des livres. Nous venons juste de créer un site et nous avons des pistes de publications, avec peu de moyens, mais cela ne nous a jamais stoppés !
On pourra trouver les ouvrages en librairie ?
Je ne suis pas vraiment intéressée par ce type de distribution. Nos livres n’ont pas de code barres, alors je doute que les grosse chaînes acceptent de les vendre de toute façon. C’est peut-être une erreur, je ne sais pas, mais j’agis comme je le sens, et encore une fois, on n’a pas l’intention de faire fortune avec, mais juste de récupérer suffisamment d’argent à chaque production pour financer les suivantes. On pourra les trouver sur le site, les foires aux livres, les expositions et tous les lieux qui nous semblent opportuns pour les y diffuser. / Gé & Flo
Pour vous procurer un de nos livres : www.exitstencilpress.com | www.southern.com/southern/label/CRC/
CRASS, The Crassical Collection
Ces six CD ou doubles CD, sont une réédition globale de tous les albums du groupe punk anarchopacifiste Crass qui a sévi de 1978 à 1984 et a permis de réveiller un mouvement anarchiste moribond en Angleterre tout en favorisant la montée en force de pratiques telle que le « do it yourself », (faites le vous-même), comme une forme d’application directe des idées libertaires à certains niveaux. Leurs années d’existence ont vu nombre d’autres groupes, journaux, labels, collectifs ou squats se former, eux-mêmes n’étant pas en reste pour propager idées et attitudes tant dans leurs concerts que dans leur vie individuelle ou collective.
Pour cette nouvelle édition de leurs albums, tout a été « remastérisé » (sous-entendu pour eux, on entend un peu plus de tout) et chaque album/double album (The feeding of the 5000, Station of the crass, Penis Envy, Christ the Album, Yes sir I will, Ten notes on a summer’s day…) comprend un gros livret avec tous les textes des chansons, leurs articles de prises de positions, mais aussi des articles de journaux « officiels » de l’époque, que ce soit des quotidiens ou la presse musicale. De nombreux collages et peintures de Gee, connus ou moins connus, voire inconnus, ainsi que des photos, prennent place à foison au fil de chaque livret. Les coffrets contiennent aussi la pochette originale dépliante de l’époque au format CD, pour y mettre le CD dedans comme les vinyles à la belle époque.
On trouve aussi dans ces CD d’autres enregistrements comme par exemple les morceaux en live à l’émission de la BBC The John Peel session qui n’était pas spécialement facile à trouver auparavant (dans cette émission de radio de John Peel invitait des groupes pas seulement pour une interview mais aussi pour quelques morceaux joués en direct.) A priori le double disque regroupant leurs 45 tours, Best before 1984, devrait aussi voir le jour plus tard. Voilà, la boucle semble bouclée mais on n’oubliera pas les autres disques des membres du groupe comme le fabuleux Acts of love de Penny Rimbaud et Eve Libertine, 50 poèmes mis en musiques avec un livret superbement illustré par Gee, ou les groupes du chanteur, Steve, comme Schwartzeneggar et Stratford Mercenaries…
N’oublions pas non plus plusieurs livres d’écritures, de graphismes ou d’autobiographies diverses par Penny, Gee et Steve : on peut signaler le livre de Penny Schibboleth qui retrace un peu sa vie d’avant Dial House et couvre une grande partie de l’histoire de la maison et du groupe Crass. Le livre de Steve, The rest is propaganda, est aussi une autobiographie qui raconte sa vie avant, pendant et après Dial House… Jeune défavorisé, devenu skinhead voulant danser sur le ska reggae, puis punk anarchiste dans ses tribulations avec Crass jusqu’à aujourd’hui, son investissement dans une équipe de sauveteur en mer dans le nord de l’Angleterre. Quant à Gee, elle devrait sortir très prochainement un nouveau recueil de graphismes. Son dernier livre Animal Rites est un superbe livre de collages, très simples mais très efficaces sur les relations humains/animaux. Alors, bonnes lectures et bonnes écoutes, il y a de quoi faire ! / Ericca