Moins abordés en bande dessinée que pas mal d’autres sujets historiques traitant de telle ou telle guerre, les « évènements d’Algérie » (comme le pouvoir et la presse de l’époque les ont dénommés) sont traités dans ce livre sous un angle relativement original, celui de femmes ayant vécu ce conflit pour l’indépendance algérienne.
L’histoire commence ainsi: suite à des questionnements restés sans réponse, Béatrice, une fille d’appelé du contingent ayant fait la guerre d’Algérie entre 1954 et 1962, mène sa propre enquête pour comprendre ce qui s’est réellement passé lors de ce mouvement d’émancipation vers l’indépendance. Face au mutisme de son père et au peu d’informations livrées par sa mère, Béatrice part à la rencontre de 4 femmes (Saïda, Djamila, Bernadette et Malika) pour recueillir leurs témoignages et se faire sa propre idée de ce qui a pu réellement se passer plus de 50 années auparavant. Le récit détaille son « road-trip » à travers une Algérie contemporaine (peu après un passage par la ville de Tours), avec de nombreux « flashbacks » amenés par ses diverses rencontres, puis son retour en France pour clore ses investigations. Une plongée émouvante dans une histoire commune et douloureuse dont on peine encore aujourd’hui à parler sur la place publique. L’histoire de la colonisation française et de la marche vers l’indépendance, de leurs horreurs, des souffrances qui leur sont attachées de part et d’autre et finalement de leur relatif fiasco. Tout ça loin d’un manichéisme qui a trop longtemps empêché tout dialogue constructif.
« Une plongée émouvante dans une histoire commune et douloureuse dont on peine encore aujourd’hui à parler sur la place publique »
Le scénariste, Swann MERALLI, s’est énormément documenté pour réaliser cette fiction, et l’avis aux lecteurs au début de l’ouvrage prévient que la plupart des personnages n’existent pas réellement ; néanmoins, les auteurs se sont attachés à donner une véracité historique au récit en s’appuyant sur les faits réels autour de destins qui se croisent dans ce récit. La force de la narration est qu’elle ne prend pas partie, elle expose des témoignages sans porter de jugement ni tentative de position ou de moralisation. Chacun et chacune se feront leur propre interprétation après lecture.
Le graphisme « ligne claire » servi par une mise en couleurs sobre n’est pas sans rappeler celui de Martin VEYRON. Le montage des planches est ultra-classique mais sert parfaitement le récit.
Cet album pourrait presque être classé en bande dessinée documentaire si on élude le caractère fictionnel des personnages principaux. Et l’invitation à se documenter en fin d’ouvrage, avec une liste de documents et livres abordant le sujet de la guerre d’Algérie, est un engagement supplémentaire des auteurs pour libérer la parole et repousser l’omerta à ce propos. Et pour compléter cette lecture, je conseillerai également de se pencher sur la bande dessinée Un maillot pour l’Algérie de REY, GALIC et KRIS parue en 2016 aux éditions AIRE LIBRE, où les mêmes évènements sont mis en images à travers le prisme de la première équipe nationale de football algérienne. Et puisque les livres d’histoire n’ont pour la plupart donné jusqu’à présent qu’un point de vue elliptique et/ou partisan, il serait temps de rétablir quelques vérités sans haine ni rancune pour apaiser les consciences et déminer un terrain encore sensible aujourd’hui. A lire pour commencer à mieux comprendre ce qui s’est réellement passé.