Nous proposons de revenir ici sur un point particulier du discours extrémiste de droite, l’écologie, et plus précisément sur les aspects nostalgique et romantique de celle-ci. Il existe en effet une forme de pensée écologiste, propre à l’extrême droite, héritière du romantisme politique allemand du XIXe et du début du XXe siècle, qui souhaiterait revenir au modèle civilisationnel et sociétal des sociétés païennes européennes. Pour élaborer notre schéma de pensée, nous avons repris ici la typologie des différentes formes de romantisme établie par Michael Löwy et Robert Sayre en 1992 dans Révolte et mélancolie. Le romantisme à contre-courant de la modernité : restitutionniste, conservateur, fasciste, résigné, réformateur, révolutionnaire et/ou utopique. Nous nous en distinguons toutefois sur un point : selon nous, il existe un néo-romantisme utopique, parfois naturaliste, ouvertement restitutionniste, voire raciste, qui cherche à restituer des communautés édéniques racialement pures.
Une écologie identitaire
Cette forme d’écologie, que nous pouvons qualifier d’identitaire, est apparue dans les années 1970 dans le sillage de ce qui a été appelé la « Nouvelle droite ». Elle s’inspire de la « Révolution conservatrice » allemande, fort peu chrétienne, en particulier par sa frange la plus radicale, la mouvance völkisch, héritière du romantisme politique et dont le plus éminent représentant est le philosophe Martin Heidegger. En France, cette forme d’écologie s’est développée à compter des années 1970, dans les marges les plus radicales de l’extrême droite, notamment chez d’anciens SS, comme Robert Dun, et surtout autour de la Nouvelle Droite.
Cette extrême droite comprend les néonazis et postnazis (« alt-right ») jusqu’aux néodroitiers et aux identitaires à proprement parlé, héritiers des précédents.
Nous entendons par « identitaire », les idéologies qui promeuvent l’existence d’une identité, culturelle et ethnique, européenne et donc par extension l’idée d’une race blanche, héritière à la fois des peuplades indo-européennes de l’Antiquité et des cultures qui en seraient nées, dont l’objectif est de re-créer, ou plutôt de réinventer, des communautés racialement pures, vivant en harmonie avec la Nature. Cette extrême droite comprend les néonazis et postnazis (« alt-right ») jusqu’aux néodroitiers et aux identitaires à proprement parlé, héritiers des précédents.
Nos différents travaux sur l’écologie d’extrême droite nous ont permis de relever cinq caractéristiques significatives qui permettent de définir ce qu’est l’écologie identitaire :
- Elle se veut identitaire dans le sens où elle promeut la civilisation et les origines ethniques européennes dont il s’agit à la fois de retrouver les sources et de protéger sa pérennité (culturelle et ethnique).
- Elle se veut enracinée : il s’agit de préserver les particularismes locaux et régionaux du grand ensemble ethnico-culturel indo-européen. La différence est acceptée dans le cadre d’une unité ethnique, historique et religieuse.
- Elle se veut païenne. Le christianisme ayant mis à mal l’harmonie cosmique de l’Homme et de la Nature propre aux religions païennes indo-européennes, il s’agit de fermer la parenthèse chrétienne. Cependant, depuis les années 2010, nous assistons dans les mouvances concernées (néo-droitières, identitaires) à un retour en grâce du christianisme, devenu écologiquement compatible, via l’élaboration d’une écologie chrétienne à la fois antimoderne et mixophobe, comme le montre les dialogues entre les néodroitiers et l’équipe de la revue Limite, voire avec Chantal Delsol.
- Elle se veut mixophobe : la « vraie » écologie (comprendre l’écologie identitaire) est une écologie des populations. Pour préserver les biotopes (comprendre les ethnosphères), il faut refuser à la fois l’installation de populations immigrées (allogènes) et le métissage sur le sol européen.
- Elle se veut localiste : il s’agit de consommer les productions locales. Derrière cette défense des AMAP et autres circuits courts, il s’agit de promouvoir une forme d’autarcie grand-continentale dans la continuité des théories national-révolutionnaires. Il s’agit également d’un rejet de la mondialisation économique et de l’uniformisation des pratiques culturelles. Ces idées sont développées par Les Identitaires (nouveau nom du Bloc Identitaire), par les frères ennemis de Terre et Peuple et de Réfléchir & Agir, par ce qui reste de la Nouvelle Droite, voire par des personnes se réclamant du national-socialisme comme Philippe Baillet.
Un enjeu doctrinal important
L’écologie, déjà présente au sein de l’extrême droite depuis les années 1970, est devenue à compter des années 1990 un enjeu capital de l’extrême droite, avec l’évolution antimoderne (c’est-à-dire avec l’abandon de l’occidentalisme, très prégnant dans les années 1960 et 1970) des groupes les plus radicaux. En outre, cette forme d’écologie est associée à un refus de la mondialisation, les immigrés étant essentialisés comme des espèces invasives détruisant un biotope, en l’occurrence celui des peuples « blancs » (comprendre européens ou descendants d’Européens) qu’il faudrait préserver. Aujourd’hui, cette pensée d’extrême droite s’hybride avec les autres tendances de l’écologie politique, en particulier décroissant, certains thèmes (localisme, antimondialisation, rejet de la technique, défense des peuples autochtones, etc.) devenant commun aux différentes formations écologiques.
Ainsi, dès les années 1960, le journaliste et écrivain « socialiste européen », régionaliste et néo-droitier Jean Mabire, a pu écrire :
« Je ne vois pas pourquoi il faudrait protéger les races animales et laisser périr les peuples tels qu’ils ont été façonnés par des milliers d’années de longue patience. La véritable écologie, c’est de sauvegarder les baleines. Mais aussi les Touaregs et les Zoulous, les Basques et les Serbes, les Flamands et les Bretons, les Ecossais et les Estoniens ».
L’écologie d’extrême droite n’est pas pour autant coupée des autres tendances vertes. Dans les années 1990, des militants d’autres tendances de l’extrême droite, notamment la Nouvelle Droite, devinrent des membres du Mouvement Écologiste Indépendant d’Antoine Waechter. Ce fut le cas du militant identitaire Laurent Ozon dans les années 1990 et 2000. Il anima entre 1994 et 2000 une revue, Le recours aux forêts, expression de l’association Nouvelle Écologie, qui vit la participation de plusieurs figures importantes du mouvement écologiste. Il y eut des collaborations entre la Nouvelle droite et Teddy Goldsmith, le fondateur de la revue The Ecologist. Des décroissants participent, encore aujourd’hui, régulièrement aux publications de la Nouvelle Droite.
Nous ne pouvons donc pas parler de « verdissement » de la pensée d’extrême droite, cette forme d’écologie existant depuis les années 1970 en France et dès les années 1950 en Allemagne, pour ne prendre que ces deux exemples. Certains cadres dénazifiés, comme le pasteur Werner Haverbeck et Renate Riemeck, médiéviste et ancienne secrétaire du SS Johann von Leers, en firent de nouveau la promotion dans les années 1970. En outre, il a existé en Allemagne une revue Wir Selbst (« Nous seuls »), fondée en 1979 et publiée jusqu’en 2002 par le strasserien (comprendre « nazi de gauche ») Henning Eichberg, décédé en 2017, dont la pensée peut se résumer par un refus de l’État-nation et une défense identitaire des particularismes ethno-régionaux. Elle servait de passerelle et de plateforme de discussion avec les autres formes d’écologie. Entre-temps, Eichberg a évolué politiquement vers l’extrême gauche, en gardant l’ethnorégionalisme. Enfin toujours en Allemagne, il ne faut pas oublier que les néodroitiers allemands ont participé en 1980 à l’écriture du premier manifeste des Grünen, leur imposant certaines de leurs thématiques, comme le national-neutralisme. Cette forme d’écologie est donc loin d’être une mode ou un usage stratégique : elle est au contraire un point important, fondamental même, de leur pensée politique.
Cette forme d’écologie peut être qualifiée sans peine d’« écofascisme », car, outre les aspects purement écologistes, il s’agit aussi d’une écologie des populations : ses promoteurs insistent sur la nécessité de considérer les populations humaines comme des espèces animales ayant chacune un « écosystème » qu’il faut préserver des « espèces invasives ». Dans cette logique, chaque grand groupe ethnoculturel doit rester dans son aire de civilisation, dans son biotope, pour continuer dans ce type de vocabulaire.
La généalogie de ce courant écologiste est à chercher dans certaines origines du mouvement écologiste contemporain, en particulier au sein de mouvements issus du romantisme politique, tels certains courants de la « Révolution Conservatrice » allemande, comme les völkisch, très antimodernes, à la fois technophobes et urbanophobes, c’est-à-dire qu’ils rejetaient les villes et la promiscuité inhérente. Ces völkisch sont apparus en Allemagne durant la seconde moitié du xixe siècle. La racine « Volk » signifie « peuple », mais le terme « völkisch » va au-delà de celui de « populaire » ou de « nation », avec un aspect communautaire, culturel et organique marqué. Les völkisch désiraient rétablir la pureté raciale et culturelle originelles du peuple allemand. Ce courant bigarré irrationaliste puisait ses références dans le romantisme, dans l’occultisme, dans les premières doctrines « alternatives » et enfin dans les doctrines racistes.
Ces derniers développaient une conception ethniste et enracinée de l’écologie, comme l’a mis en lumière l’universitaire suédois Mark Bassin. Ces « pré-écologistes » idéalisèrent très fortement la nature, faisant de l’« état de nature » une nostalgie d’un Éden dans lequel les hommes et la nature vivaient harmonieusement. Les différents auteurs de ces milieux idéalisèrent la nature, faisant de l’« état de nature » une nostalgie d’un Éden, d’un paradis perdu, dans lequel les hommes et la nature vivaient harmonieusement. Cette nature, sauvage et vierge de son arraisonnement chrétien – ils reprennent les postulats de Lynn White Jr. sur Les origines historiques de la crise écologique contemporaine, doit être préservée pour garder pur l’identité européenne : selon eux l’Européen ne peut retrouver ses racines que dans une nature sauvage dans laquelle ils se dépasseront. De ce fait, ces militants font souvent la promotion de la randonnée ou de l’alpinisme.
Un refus de la Modernité
Ces militants furent parmi les premiers à théoriser l’idée d’un retour à la nature, de la pratique des bains de lumière (le naturisme), d’un mode de vie alternatif construit en opposition à la modernité et tribal, un intérêt pour la nourriture « biologique », etc. Ils s’intéressèrent également aux spiritualités de marge, en particulier les « religions ethniques européennes » – c’est-à-dire le paganisme dont nous parlerons plus longuement ultérieurement- et idéalisèrent la reconstruction d’un passé qui n’a jamais réellement existé, comme l’aryanisme et le l’ethnodifférantialisme, que nous retrouverons par la suite chez les militants écologistes d’extrême droite…
Cette vision passéiste eut pour conséquence de voir le développement au cours du xxe siècle d’un discours extrémiste de droite très antimoderne. Dès leur naissance à la fin du siècle précédent, ces premiers mouvements se sont aussitôt présentés comme un refus du monde moderne et industriel qui émergeait alors. Il ne faut pas oublier que l’Allemagne, pays rural, s’est modernisé et industrialisé rapidement, en une vingtaine d’années, provoquant en retour un fort rejet à connotation romantique. Au-delà du cas allemand, ce refus se retrouve chez tous les précurseurs conservateurs ou d’extrême droite du mouvement écologique au nom du risque de décadence spirituelle de la civilisation, ce qui pouvait donner naissance à un discours à la fois écologiste et conservateur, voire nationaliste.
Ces militants écologistes revendiquent un antilibéralisme tant économique, philosophique que politique. Selon ceux-ci, le libéralisme, principal héritage des Lumières, étant à l’origine de la mondialisation et prônant l’universalisme, détruit à la fois les identités nationales et la nature par son éloge du marché sans entrave et son consumérisme productiviste. Le libéralisme y est vu comme une idéologie reposant exclusivement sur la liberté et l’individualisme, qu’elle soit économique ou politique, une liberté qui met en péril les modèles holistes des sociétés traditionnelles européennes. Plusieurs auteurs antimodernes furent récupérés intellectuellement dans les années 1980, comme Heidegger, Guénon, Evola, Dumont, afin de construire un discours idéologique cohérent. Dans ce discours, le passé n’est plus inférieur au présent et à l’avenir, comme il est soutenu dans le cadre d’une vision progressiste du monde, mais au contraire, il est supérieur à ceux-ci. Dans ces discours, le monde moderne peut être vu, comme le règne des « antivaleurs » contemporaine que sont l’égoïsme et le relativisme, voire comme le règne de la démesure, l’hubris des Grecs. Dès lors, la modernité devient une sorte de monstre protéiforme d’où proviennent tous nos maux, les « antivaleurs », et dont les États-Unis sont les principaux propagateurs.
ces militants, en s’inscrivant dans une logique à la fois völkisch et holiste, se mettent à faire la promotion de la vie naturelle contre les vices de la vie urbaine ; de l’ordre harmonieux de la nature contre l’idéologie du progrès ; l’esthétisme des communautés rurales ou traditionnelles contre la laideur de la société industrielle, de l’enracinement contre l’atomisme ; les petites communautés contre la mégalopole
En condamnant le libéralisme donc, à l’origine de nos sociétés modernes contemporaines, cette extrême droite peut être vu comme des nostalgiques d’un âge d’or, forcément holiste. Dans un tel système, l’individu n’existe pas en tant que tel mais s’insère dans un nœud de relations sociales, c’est l’organicisme. En ce sens, il s’agit également d’une forme de primordialisme. Celui-ci s’inspire de la pensée anti-Lumière d’un Fichte et surtout d’un Herder. L’holisme écologique de l’extrême droite étend ces nœuds de relations au-delà de la sphère humaine pour englober l’environnement, dont il devient indispensable de défendre l’intégrité. Pour défendre une telle vision du monde, il devient nécessaire de s’émanciper de l’idéologie du progrès.
Nous retrouvons cette idée, associée à celle identitaire de la préservation de la race blanche, chez les promoteurs actuels de l’« écofascisme », comme Tarrant, pour qui l’essor technique met à mal les valeurs de la civilisation païenne européenne. En effet, ces militants, en s’inscrivant dans une logique à la fois völkisch et holiste, se mettent à faire la promotion de la vie naturelle contre les vices de la vie urbaine ; de l’ordre harmonieux de la nature contre l’idéologie du progrès ; l’esthétisme des communautés rurales ou traditionnelles contre la laideur de la société industrielle, de l’enracinement contre l’atomisme ; les petites communautés contre la mégalopole, etc. Pensons, par exemple, aux thèses développées par le groupe identitaire Terre & Peuple qui fait la promotion, outre un racisme radical, des activités folkloriques souvent de nature païenne (célébration du solstice d’été, sapin de Noël, veillée, arbre de mai, costumes régionaux, etc.) ; de la promotion du régionalisme ; de l’éloge du naturisme et des médecines naturelles ; du refus du christianisme, vue comme une religion universaliste destructeur des particularismes culturels locaux, etc. Chez ces auteurs, la terre apparaît comme la source primordiale de l’élément nourricier, comme l’ordonnatrice d’un mode de civilisation traditionnelle, qui aurait été mise à mal par l’avènement des sociétés industrielles. Les romantiques, les premiers, ont véhiculé cette vision nostalgique du monde et donné aux sociétés traditionnelles, cet aspect de « monde perdu ». Cette vision du monde comprend aussi un régionalisme assez fort, qui lui est consubstantiel, et qui s’inspire des régionalistes d’extrême droite comme Yann Fouéré ou Ollier Mordrel.
Une conception païenne du monde et de la Nature
Dans ce type de discours, l’amour du terroir et la nostalgie d’une pureté perdue se combinent à une critique du capitalisme et, parfois, à une idéalisation des communautés organiques. Parallèlement à cette promotion romantique de la terre et des régions, ces militants conçoivent un néopaganisme, qui serait la réactivation des paganismes indo-européens de l’Antiquité européenne. En effet, l’écologie radicale qui nous intéresse ici défend une dimension spirituelle, foncièrement païenne.
Les néo-païens, quelle que soit leur idéologie ou leur pratique, ont une vision précise de l’écologie : le recours à la théorie des cycles cosmiques, respectant le jour et la nuit, le changement de saison, les équinoxes, les solstices, etc. jouent un rôle important dans leur vision du monde : l’homme, en oubliant l’importance de ces cycles, a perdu sa place dans cette harmonie. Cette forme d’écologie reconnaît en effet le caractère « vivant » de la nature, postulant l’existence des lieux « sacrés » prédestinés, propices à la célébration des cultes et l’existence de cycles cosmiques qui forceraient les hommes à se mettre en harmonie avec le monde. Dans cette perspective, non anthropocentrique, la Terre et l’univers sont perçus comme un grand tout harmonieux auquel l’homme est associé par son être même. Cette vision cyclique forçait les hommes à se mettre en harmonie avec le monde. Ce simple constat porte en lui une critique radicale de la modernité car il dénie implicitement toute légitimité au modèle économico-social dominant, destructeur d’une harmonie originelle. L’objectif, aujourd’hui, dans ces milieux, est de revenir à cette harmonie perdue.
Pour une écologie intégrale, contre la démonie productiviste
Ainsi, le Manifeste du GRECE, publié en 2000, largement écrit par Alain de Benoist et Charles Champetier, prend position « Pour une écologie intégrale, contre la démonie productiviste », les auteurs s’affirmant en faveur d’une écologie radicale qui « doit aussi en appeler au dépassement de l’anthropocentrisme moderne et à la conscience d’une co-appartenance de l’homme et du cosmos ». Car « […] cette transcendance immanente fait de la nature un partenaire, non un adversaire ou un objet. Elle ne gomme pas la spécificité de l’homme, mais lui dénie la place exclusive que lui avaient attribuée le christianisme et l’humanisme classique. À l’hubris économique et au prométhéisme technicien, elle oppose le sens de la mesure et la recherche de l’harmonie. »
L’écologie de l’extrême droite est donc une quête d’un monde perdu, qui s’exprime au travers d’une conception précise du monde. Il s’agit d’une quête d’une harmonie perdue sous les coups de la modernité technoscientifique et de la mondialisation des flux de population. En ce sens, l’écologie de l’extrême droite est bien une forme de romantisme restitutionniste, cherchant à recréer, à réinventer les civilisations païennes de l’Antiquité européenne, mises à mal par un christianisme étranger, cosmopolite et sectaire.
Stéphane François • Professeur de science politique à l’université de Mons – Membre du GSRL