Patrick Cockpit est allé voir l’expo sur Walker Evans proposée par le Centre Pompidou » Beaubourg » de Paris et il nous fait un petit topo. L’article est aussi lisible sur son blog ( Vernaculaire Connard ).
Toi, je sais pas, mais moi, j’y suis allé, à l’exposition dont tout le monde parle. Tu connais pas Walker Evans ? Ah ah ah, l’imbécile ! Walker Evans, c’est LE type qui a tout fait, tu vois, il faut absolument admirer sa rétrospective à Beaubourg, d’autant que c’est la première fois que ça arrive chez nous les français parce qu’on est trop cons pour avoir reconnu le génie de ce photographe américain tellement ouf qu’il en est crazy, quoi. Et comme c’est super bien organisé, ça se déroule du 26 avril au 14 août 2017, donc t’as le temps de t’améliorer le cerveau.
Bon, ça, c’est ce qu’on me dit depuis quelques semaines, et même si j’ai horreur des familiarités, je hoche la tête d’un air penaud en disant que oui, d’accord, je vais aller voir, d’autant que j’aime beaucoup Walker Evans, ça tombe super bien, il faut bien l’admettre, alors bon, chouette, on y va, j’ai beau détester ce quartier de merde, je veux bien faire un effort pour les beaux yeux de Walker, parce que quand même, oui, Walker, quoi. Et puis c’est une rétrospective, c’est toujours classe, comme mot, rétrospective. Je suis allé voir dans le dictionnaire pour mieux en profiter : Exposition présentant de façon récapitulative et chronologique les oeuvres d’un artiste, d’une école, d’une époque. D’accord, donc je vais bouffer du Walker Evans, mais ça tombe bien, j’aime Walker Evans. Si ça se trouve, je vais même voir des images que je ne connais pas, voire apprendre des trucs, raison de plus pour m’endormir moins con et y aller vite fait, donc j’y vais.
Après avoir payé super cher l’entrée du gros tas de boue devant lequel se masturbent des générations boursouflées de Jean Nouvel et de Frank Gerhy, je grimpe une série d’escaliers mécaniques en panne sous une chaleur à crever parce que ouais, les verrières, ben ça chauffe quand y a du soleil. Moi je m’en fous, hein, la climatisation ça rend malade, mais je croise plusieurs américains obèses qui semblent mourir, là, juste à droite, en tout cas ils sont tout pâles et ils ne respirent plus. Du coup, j’appelle les pompiers, au cas où. Ils pourraient mettre des rosiers, je ne sais pas, moi, des plants de tomates, ça pousserait super bien, enfin bon, bref, me voilà tout en haut, je peux enfin profiter des superbes images de Walker après un troisième contrôle des billets, j’espère qu’il y en a un quatrième au milieu de l’expo, ou à la sortie, parce que ça manque, je trouve.
Mais d’entrée, je suis calmé, parce que les images de Walker claquent violemment. Je cherche des explications, quelques repères chronologiques pour comprendre comment il faisait, comment il s’y prenait, le genre d’appareil qu’il utilisait, pourquoi les tirages sont si petits, pourquoi ils sont d’époque, pourquoi il sont pas d’époque, lesquels ont été faits par Evans lui-même, lesquels ont été faits récemment à partir de négatifs ou de scans, brefs, des infos, quoi, le genre de truc qu’on a dans une rétrospective, mais non, rien, que dalle. Du coup, je vais voir les paragraphes décalqués au mur pour en avoir le coeur net, et là, je résume : Bla bla bla Walker Evans bla bla bla vernaculaire bla bla bla photographie vernaculaire bla bla bla approche vernaculaire bla bla bla vernaculaire. Ah, ok. J’ai un smartphone, j’apprends que vernaculaire désigne au départ tout ce qui est élevé, tissé, cultivé, confectionné à la maison, par opposition à ce qu’on se procure par l’échange. Ah oui, d’accord, mais ça m’aide pas. Comme j’ai fait des études supérieures dans une filière d’excellence, je fais chauffer mes dernières neurones épargnées par l’alcool et TF1, et j’en déduis que le commissaire d’exposition désigne le vernaculaire comme la photographie quotidienne, banale. Très bien. Le mec s’appelle Clément Cheroux. Et il pouvait pas parler de photographie quotidienne, banale, normale ? Fallait vraiment qu’il forge une définition foireuse pour caler son mot-doudou toutes les deux lignes ? Ben non, Clément Cheroux, il est commissaire d’exposition, tu comprends, misérable vermisseau ? Qu’est-ce que t’y piges à l’art, de toute façon, tu payes ton entrée, tu fais un selfie, pi tu te casses et tu laisses les grandes personnes parler à ta place. Je veux bien, d’accord, mais j’aime bien la photographie, et je peux déclarer sans trembler que parler de photographie vernaculaire, c’est enrober d’un traitement pseudo-artistico-connard un concept très simple qui n’a pas besoin de cette boursouflure pour exister. C’est insultant pour Walker Evans, je trouve, qui avait des tendances gauchistes, dois-je le rappeler ? Walker Evans qui n’aurait peut-être pas apprécié le discours de merde autour de ses images, mais il est mort, pas de bol, ou plutôt si, coup de bol, il pourra pas venir nous saouler avec son accent de prolo ricain.
Bon, allez continuons la visite. Je comprends peu à peu que la page Wikipedia de Walker Evans m’en apprendra plus sur lui que la rétrospective Walker Evans au Centre Pompidou à Paris, France. Et ça, crois-moi, quand la page Wikipedia d’un artiste t’en apprend plus sur l’expo, c’est qu’il y a un souci, je t’assure. Bref, on découvre tout un tas d’images présentées en vrac, sans véritable chronologie, rassemblées plus ou moins par thème. À un moment, y a des poteaux électriques. Et puis y a un polaroid SX-70 (c’est écrit) avec un poteau dessus. C’est la partie avec les poteaux. J’aime bien les poteaux, attention, hein, j’aimerais juste qu’on m’explique ce qu’il vient foutre là, ce polaroid de poteau au milieu des tirages de poteaux faits vingt-cinq ans avant. Du coup, je lis : bla bla bla vernaculaire bla bla bla concept vernaculaire bla bla bla vernaculaire. Si j’avais un bic, je dessinerais une bite sous l’explication, c’est bien simple, mais il paraît que je suis trop vieux pour ça. Un petit peu avant, ou après, je ne sais plus, y a la partie avec la Farm Security Administration, dont on ne saura à peu près rien, dont on tait les orientations un tout petit peu communistes (Clément Chéroux ne doit pas être communiste), et dont on ne met rien en perspective. Au milieu, deux portraits ultra-célèbres d’Allie Mae Burroughs. Réalisés à la chambre 20×25. Eh ouais. Autant dire que son énorme appareil qui pesait des tonnes, il le collait à la gueule des gens qu’il photographiait, ce qui d’emblée change un peu l’approche de la photographie au sens large. Mais ça, c’est moi qui le dis, pas le Centre Pompidou, qui, lui, ne dit rien. Il paraît même qu’il existe quatre portraits d’Allie Mae Burroughs. C’est pas précisé. De toute façon, y en a que deux ici, démerde-toi.
Pas très loin, on trouve des photos prises à La Havane. Trop cool, Cuba, à cette époque. Qu’est-ce qu’il foutait à Cuba, Evans, au fait ? Il faisait des photos vernaculaires, t’as pas compris, vermisseau ? D’accord, mais pourquoi Clément Cheroux n’explique pas qu’Evans en a profité aussi pour boire des coups avec Hemingway, qu’il est resté plus longtemps que prévu, que ce fut la naissance d’une grande amitié ? Clément Cheroux ne doit pas trouver Hemingway assez vernaculaire, je ne vois que ça.
Même chose pour la période Polaroid à la fin. Personne pour dire que Polaroid lui fournissait appareils et films ? Qu’Evans était trop faible pour traîner sa grosse chambre ? Vraiment personne ? Ben non. Sans doute le côté vernaculaire du Polaroid qui se suffit à lui même. Allez, pas grave, voyons la suite, ah ben non, y a pas de suite, en fait, c’est tout. C’est vraiment tout ? Ben oui, ça s’arrête assez abruptement, il faut bien le dire. Je crois qu’à un moment, on peut lire que Walker Evans est mort, mais pas tellement plus.
Après, y a la boutique, on peut acheter des cartes postales Picasso et des livres de Clément Cheroux, ainsi que le catalogue de l’exposition avec un texte de Clément Cheroux. C’est pas bipé et y a plein de monde et ça vaut hyper cher, alors je l’ai volé. Easy. J’ai découpé toutes les pages qui contenaient le mot vernaculaire. À la fin, j’avais un catalogue réduit de moitié ne présentant plus que des photographies. Je me suis retrouvé seul avec Walker Evans, et ça, ça, franchement, c’était bien. / Patrick Cockpit