Il y’ a des départs qui vous assomment comme un coup de pied de micro en pleine tronche et qui ne se prêtent pas tellement aux nécrologies fussent elles dithyrambiques.
Les parcours sont agités, l’historiographie totalement superflue tant les souvenirs sont vivaces…
Notre pote Ludo Tranier est décédé de ce qui ressemble à un arrêt cardiaque…
Personnalité du rock Bordelais? La dénomination est aussi limitée que fadasse au regard de la richesse du bonhomme.
D’abord il était Pessacais ! Et oui ! C’est pas pareil ! Vous en doutez? Allez passer quelques heures au comptoir du Bateau Ivre, célèbre bar local, où le daron Régis vous rappellera combien cette institution du circuit rock péri-Bordelais a compté dans la formation du bonhomme et que « Haut Livrac c’est pas Bordeaux Centre »…
Ludo a toujours eu la scène comme moteur, dés la quinzaine au sein du combo New Wave Banal Automne jusqu’à ses voyages en Amérique Latine déterminants pour son projet intimiste de Buscavida, un comble pour quelqu’un dont les longs voyages en bagnole comme en avion constituaient une torture…
Traqueux comme un Jacques Brel entrant sur la scène de l’Olympia, il n’en laissait pourtant rien paraître, speed mais toujours dans l’échange avec le public que ce soit devant 400 personnes dans un squatt Berlinois ou un parterre de papis / mammis dans une fête de quartier.
Si l’on se souvient de la pure énergie scénique que dégageait le bonhomme, toujours bien entouré, on oubliera pas qu’il se fit remarquer dans **la revue musicale locale Sur la même Longueur d’Ondes, probablement, comme il le disait, un de ses seuls jobs salariés ( en T.U.C !) où sa plume, déjà hilarante, faisait mouche.
Faut dire qu’il y’ en avait des choses à dire entre émergence de la Mano Negra/ Carayos et toute une scène rock locale francophone dans cette fin des années 80…
Sans jamais jouer les prescripteurs nombrilistes qui polluent le monde des rock critics hexagonaux, Ludo parlait vrai, avec un sens de la dérision totalement personnel et déjà un appétit pour l’écriture qui débordait …
Facétieux, il pouvait entre deux productions alternatives, pondre un quart de page pour décrire un 45t de Loulou Gasté (oui le mentor de Line Renaud!) reçu par hasard comme si il s’agissait du dernier opus de Trash Metal. Au delà du gag potache ce genre de trucs était significatif d’une absence d’œillères sur presque qui que ce soit, de sa capacité à discuter avec n’importe qui et la preuve que sa curiosité sur tout ce qui l’entourait était bien un mode de vie sans arrière pensée cynique …
A force d’écumer les concerts, Ludo ne tenant pas en place devait se lancer dans l’aventure CrasHmoon Project dans une formule longuement éprouvée par la suite!
Textes débilo-délirants, folklore de la jungle urbaine, un véritable boxon sur scène avec cuivres et les indispensables CrasHmoonettes ( précisions qu’à l’époque peu de groupes accueillent des nanas sur scène surtout aussi nombreuses), le résultat entre punk rock et reggae/funk si il laissera trop peu d’enregistrements marquera les aficionados de moments inoubliables …
Et puis évidemment ce fut La Réplik qui en plus de donner un patronyme nouveau à son leader,allait placer Bordeaux sur la carte d’une certaine forme de rock alternatif bien français ( sans jamais tomber dans la franchouillardise).
Mince! à ce moment, quel temps utiliser pour en parler? Le passé, désolé il est encore un peu tôt ! Le présent ? Certes mais il y’ aurait tellement à dire sur, à vue d’oeil plus de 25 ans d’aventures… Les nombreux proches de « la raïa » encore abasourdis par la nouvelle auraient tous un truc à dire et ce genre d’histoires mériterait certainement plus qu’un pénible article nécrologique.
Si on parle le langage des cucultureux professionnels en mal de concepts subventionnables, La Replik fut le créateur d’évènements « émergents, écocitoyens, intergénérationnels et disruptifs ».
Constatant le manque de fêtes traditionnelles autour des richesses naturelles Pessacaises, La Replik devait lancer la » Fête de la fougère« . transformant la Bateau Ivre en annexe de palombière pour un concert évènement unique.
La seconde édition devait avoir lieu au Local du C.L.A.V.
Plus connu sous le nom de Lokal Rastak du nom d’une des assos animatrices, à la fois lieu de répétition, de résidence, de concerts et base militante pour de justes causes, le lieu mythique de la rue de Tauzia regroupait la fine fleur de la scène Bordelaise du moment et fut une école de l’autogestion pour beaucoup, plus que n’importe quelle S.M.A.C.
Ludo était une des personnalités centrales de cet espace unique où se croisaient membres de l’A.S.P.O, Les Hurlements de Léo, Les Rageous Gratoons, Moon Hop, Turbobilly, La Cie Mohein et d’une quantité d’autres groupes et collectifs.
Les réalités logistiques devaient mettre fin à ce beau projet de fête de la fougère, que jamais l’entourage de Pierre Hurmic ne tenta de récupérer.
On appelle ça le principe de réalité, recouvrir une salle de concert de 300 m carrés avec 10 cm de ce végétal, ça demande de la matière et surtout quand 200 personnes relativement ivres piétinent l’ensemble à l’unisson ça rend l’atmosphère presque aussi irrespirable qu’une fin de manif de gilet jaunes…
Si il est à peu prés impossible d’avoir loupé les aventures de la garde Réplikaine en plus de vingt ans d’activités pour qui est un peu sorti à Bordeaux –il est probable qu’ils sont les recordman/woman d’arpentage de salles de concert locales officielles ou officieuses – tout ce barnum se clôturait chaque année par un gigantesque chahut surpassant ce concept de végétalisation des salles de concerts.
La nouvelle idée aussi simple que géniale portait en elle tout le sens de la dérision et du fun de Ludo et son équipage pour répondre à LA QUESTION pénible de fin d’année: Que faire le 1er de l’an à Bordeaux?
Allez manger du foie gras décongelé dans des restos formule à 100 balles (cotillons compris)? , attendre les 12 coups de minuit pour se souhaiter une bonne année fatalement pire que la précédente? Faire bonne figure le lendemain entre le tonton raciste et la mamie qui pique ?
Que Nenni ! la solution était simple: saboter tout ça pour rester à la maison le 31 /12 en anticipant méthodiquement les libations sonores entre gens de bonne compagnie, histoire d’avoir une bonne excuse pour annuler le lendemain.
La St Roger était née! Précisons que la première restera pour les présents comme un superbe opéra- rock transformant la minuscule scène du Bateau Ivre en crèche dont la scénographie n’avait rien à envier celle de l’église St Eloi en terme de moyens (hommages à Louis XVI en moins faut pas déconner! ).
L’impériale Vigie devait certainement interpréter la vierge Marie (mes souvenirs sont flous, j’ai du être touché par la grâce …), la section cuivre les rois Mages et Sid (40 ans de punkitude au compteur) accroché à une croix en PVC aillant du mal à enchaîner les paraboles…
Plus d’un gag, ce gigantesque moment, allait devenir « culte », remplaçant dans les discussions le traditionnel « tu fais quoi pendant les fêtes? » par un » y’a quoi à la St Roger cette année? » (enfin à Bordeaux tout au moins).
Tous les ans d’abord au C.L.AV puis au BT 59, la formule devait devenir un rite obligatoire drainant des fidèles d’un peu partout. Une première partie locale ou aillant partagé la scène avec le groupe, le grand show d’une Réplik à géométrie variable, ce sont quasiment 50 personnes qui ont été membres du groupe amandonné! Enfin grande bringue façon boom jusqu’à très tard avec les Djs …
Au delà de ces moments festifs marquants et qui seront manquants, on ne peut réduire La Réplik à une sympathique formation locale estampillée par le qualificatif un peu ringard de « festif punkoïde ».
Le groupe n’a jamais reculé pour enchaîner concerts et tournées comme des vrais forçats de la route et avait acquis une solide réputation scénique jusque dans des bleds paumés de la République Tchèque. Faut dire que les chroniques drolatiques brocardant les flics du quotidien, évoquant les exclus finement, les voisins venus de loin et les rencontres improbables étaient servis par une équipe de musiciens hors pairs qui savaient soulever les foules dans un registre mélangeant gigue, latino, musiques de l’est, irlandaise. Rien d’étonnant à ce que ces Pogues Gascons aient séduits au delà de la frontière de la langue…
Ces dernières années sans lâcher la barre du navire La Réplik, Ludo avait trimbalé sa guitare de Lisbonne à Buenos Aires. Le projet Buscavida montrait un Ludo différent, tout autant « mangane », mais plus intimiste évoluant entre blues Garonnais et carnet de route sonore. Le son était un peu différent, mais toujours fidèle à son univers artistique.
Dernier détail étonnant, ce week-end la Clé des Ondes est partenaire du Festival Chahuts. Entre autres interviews et rencontres où nous participons avec joie, une des actions consistait à diffuser sur nos ondes la playlist dansante et festive depuis nos studios relayée sur place.
Suite à un bug informatique totalement involontaire, cette fameuse playlist a été interrompue par « les témoins de Jéovah », célèbre tube de la Replik. Totalement confus sur ce plantage, sans être particulièrement superstitieux la perspective que Ludo aurait hurlé de rire de ce moment TRÈS gênant mais ô combien rock’n’roll nous console un peu …
Bref on perd un pote, un vrai, jamais avare d’une vanne quand il passait dire bonjour dans les studios de la Clé des Ondes (pour On @ Faim! ou Souk Machine dans les années 90 et 2000), trop modeste pour admettre un grand talent quand il nous faisait découvrir ses derniers disques en direct, toujours là pour soutenir les bonnes causes bien que trop libre pour devenir un militant politique pur. Le genre de gars qui sans rien dire est toujours partant et dont on sait qu’il n’est jamais loin dans les coups durs…
Un saint ? non juste un grand type » à la redresse » qui resplendit encore tel qu’il était dans la superbe photo de l’ami Pierre Wetzel ci dessus…
Mon chagrin vient de loin….Dj Breizmattazz.
Article publié à l’origine sur le site de La clé des ondes – Avec l’aimable autorisation de Dj Breizmattazz.