Voilà donc enfin rééditées en versions intégrales les aventures de Simon du Fleuve, magnifique série d’anticipation post-apocalyptique dessinée par Claude Auclair ; et sortie pour la première fois en 1973 dans le magazine Tintin, puis aux éditions Le Lombard.
Pour ceux qui ne le connaîtrait pas, Auclair est le dessinateur qui a mis en images les idéaux et les rêves de toute une génération. Celle qui a pris part à 1968 et a tenté de vivre en adéquation avec ses idées. Claude Auclair ancre son récit d’anticipation dans un monde post-choc-pétrolier. Un monde où les forces militaires veulent reprendre le pouvoir et annihiler tout élan libertaire et collectiviste d’une population livrée à elle-même qui prend dangereusement goût à la liberté. Dès le Clan des Centaures (Tome 1 de la série), Auclair multiplie les références aux mouvements contestataires qui secouent le monde des années 1960 et 1970. Et Auclair fait tout cela avec un trait d’une fulgurance et d’une beauté rarement égalé.
Auclair est le dessinateur qui a mis en images les idéaux et les rêves de toute une génération. Celle qui a pris part à 1968 et a tenté de vivre en adéquation avec ses idées.
Le premier tome des intégrales démarre avec un dossier fouillé sur le parcours d’Auclair et son histoire. Né en 1943, le petit Claude grandit dans le Marais breton, petit bout de territoire encore sauvage au milieu de la Vendée, qu’il dessinera dans Maïlis, le quatrième épisode de Simon du Fleuve. De cette enfance sauvage et paysanne, il garde le goût des choses simples, des veillées et du patois de sa grand-mère, de l’honnêteté et du sens du partage des gens qui n’ont rien. Il se heurte ensuite au monde moderne lorsqu’il part vivre à Nantes avec ses parents. Il n’aime guère la ville, et passe son temps à lire des BD ou à aller au cinéma. Il découvre le rock’n’roll grâce au trafic de 45 tours des GI de la base américaine de Nantes. Il se met à jouer de la guitare folk, un brin beatnik.
Et quand on connaît son œuvre, c’est sans surprise que l’on découvre sa passion pour les westerns crépusculaires des années 70. Il y a du Jeremiah Johnson dans le personnage de Simon du Fleuve, héros voué à la solitude des grands espaces, capable de survivre seul dans une nature hostile et grandiose. La même chevelure blonde, le même regard bleu aiguisé, une belle gueule qu’Auclair reproduira dans Bran Ruz. Et, comme son alter ego trappeur, Simon préfère les grands espaces aux villes où règnent perversions et injustices, il préfère les nomades et les paysans aux militaires et aux marchands…
Il y a du Jeremiah Johnson dans le personnage de Simon du Fleuve, héros voué à la solitude des grands espaces, capable de survivre seul dans une nature hostile et grandiose. La même chevelure blonde, le même regard bleu aiguisé, une belle gueule qu’Auclair reproduira dans Bran Ruz.
Une fois monté à Paris, Auclair rencontre Mézières qui deviendra son grand ami, et il se lie à Philippe Druillet. Jean Giraud, alias Moebius, se vantera même d’avoir durement critiqué son dessin et de l’avoir ainsi fait progresser dans son art. Auclair participe à l’avènement d’une nouvelle ère de la BD, il dessine pour les fanzines et les multiples revues de l’époque, écolos et révoltées…
Mais Claude Auclair est surtout connu comme l’un des talents les plus prometteurs du journal A Suivre. C’est à lui que l’on doit Bran Ruz, Celui-là et Celui qui Achève, Tuan Mc Cairill, Jason Muller et bien sûr les aventures de Simon du Fleuve, des récits fondateurs pour toute une génération.
Avec Bran Ruz, Claude Auclair est aussi le dessinateur d’une certaine Bretagne, celle d’une minorité culturelle bafouée mais rebelle, accueillante, tolérante et universelle. Cette BD est passée entre toutes les mains de ma famille et je l’ai lue toute petite, sans tout comprendre, presque hypnotisée par la beauté de ses planches. J’y reviens encore régulièrement depuis. J’ai ensuite lu Celui-là, Celui qui Achève, de véritables merveilles, une ode aux peuples nomades des temps anciens qui ne sont pas sans rappeler les indiens d’Amérique. On n’est pas loin de l’esprit nomade des travelers qui sillonnent les routes en camion.
Claude Auclair est le premier dessinateur et scénariste qui m’ait donné à voir la révolte des opprimés contre les nantis, et le mensonge de la religion comme outil d’asservissement des peuples. Et, pour autant, ses récits sont empreints d’une certaine spiritualité : la foi en l’être humain, le rapport à la terre, mère et nourricière, la fraternité et la solidarité, la liberté… C’est le nœud de l’histoire rythmant Simon du Fleuve.
Claude Auclair est le premier dessinateur et scénariste qui m’ait donné à voir la révolte des opprimés contre les nantis, et le mensonge de la religion comme outil d’asservissement des peuples. Il donne à ces Seigneurs l’apparence de soldats américains. On est alors en pleine lutte contre la guerre du Vietnam et Auclair milite pour la paix.
Simon fuit les cités peuplées de miséreux dominés par les Seigneurs, derniers vestiges d’un monde qui n’a pas survécu aux chocs pétroliers, comme le décrit Auclair dans Le Clan de Centaure. Il donne à ces Seigneurs l’apparence de soldats américains. On est alors en pleine lutte contre la guerre du Vietnam et Auclair milite pour la paix. Les Seigneurs sont les seuls à disposer de l’électricité et du pétrole nécessaires à leur industrie. Ils possèdent des machines volantes et des armes puissantes dont ils se servent pour asservir les paisibles êtres humains revenus à une vie rurale. Claude Auclair, dont la génération était très marquée par les récits des survivants des camps de la Seconde Guerre mondiale, imagine des camps industriels où des humains, tatoués et rasés sont réduits en esclavage.
Alors qu’il magnifie la vie nomade des Centaures autant que celle des paysans, le monde des Seigneurs est urbain à l’excès, industriel, violent et gris. Auclair met en scène la nature dans ce qu’elle offre de plus beau : de vastes montagnes enneigées, de larges rivières, des prairies et des champs verdoyants. Il montre des communautés d’agriculteurs, réunis en collectivités par un certain goût de l’honnêteté et du travail, qui vivent de la terre et la respecte.
C’est de l’idéalisme post-1968 dans ce qu’il a de plus pur qui nous est livré ici, et force est de constater que le sujet est toujours autant d’actualité. Si Auclair était toujours vivant, nul doute qu’il prendrait le parti de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Il serait sûrement un fervent défenseur de l’agriculture paysanne et biologique, il ferait parti d’une coopérative… Il serait peut-être même revenu à la terre. Disparu trop tôt dans un accident de voiture, Claude Auclair nous laisse une œuvre visionnaire, libre, qui donne envie de tout plaquer pour partir et courir les routes !