En 1960, Jerry Lott alias the Phantom surgit sur scène pour proférer son hit scandaleux : Love me. Le Phantom, en proie à un désir paroxystique, débute abruptement son morceau par des hurlements de psychopathe à figer le sang, puis il se lance dans un assaut de fiévreuses supplications (« Je ne peux attendre, aime-moi… », « Chaque muscle de mon corps brûle de désir »), avant d’entraîner sa proie hypnotisée – voire pétrifiée – dans un tourbillon de plaisir, auquel il parvient après force ahanements dans un voluptueux râle postcoïtal. C’est ce qui s’appelle se lâcher…
Né en 1938 près de Mobile, en Alabama, Jerry joue de la musique country quand, en 1956, il a une révélation en découvrant Elvis. Sur une impulsion, il écrit Love me en dix minutes, puis s’arrange pour rencontrer Pat Boone, un dimanche à l’église, qu’il persuade d’écouter sa cassette diabolique.
Pat Boone, également acteur et écrivain, est un crooner au top des charts que seul Elvis surpasse ; bien que ce dernier, depuis la mort de sa mère, traverse une période de déclin qui affecte globalement le rock’n’roll. En entendant Jerry Lott, Boone se dit que le rock n’est pas si moribond. Il décide d’aider le chanteur et, vu son morceau sulfureux, lui suggère de prendre le pseudonyme de The Phantom et de n’apparaître que masqué, afin de faire encore plus sensation. Par l’intermédiaire de son propre manager, il lui déniche un contrat chez Dot Records qui finalement ne sortira Love me qu’en 1960.
Je n’ai pas beuglé sur la première prise, mais sur la seconde j’ai disjoncté. » The Phantom
Jerry se rappelle dans une interview du début des années 80, comment s’est passé l’enregistrement au studio : « Ils m’ont dit : « Vois si tu peux ressusciter un peu le rock’n’roll »… Alors, j’ai mis dedans tout le feu et la fureur que j’ai pu. J’étais satisfait dès la première prise, mais tout le monde disait : « Recommence encore. » Je n’ai pas beuglé sur la première prise, mais sur la seconde j’ai disjoncté. Je te le dis, c’était sauvage. Le batteur a perdu une de ses baguettes, le pianiste criait et a renversé son tabouret, les lunettes du guitariste étaient de travers sur son nez. »
Il est rare d’entendre un chanteur qui se donne autant à fond, et c’est ce qui fait la spécificité de ce morceau déjanté, unique en son genre. Car ce sera le seul tube de Jerry Lott, qui finit paralysé suite à un accident où il s’est ruiné en voiture en tombant au fond d’un ravin de 200 mètres. Ensuite, plongé dans la religion et la philosophie, il se consacre à l’écriture de chansons et meurt en 1983 à 45 ans.
Miriana Mislov & Thierry Guitard